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MÉLANCTHON.

laisser à ses enfans quelque peu de patrimoine honnêtement acquis. « Mais je vois, ajoute-t-il, que, dans ces temps si durs, je ne leur laisserai que le misérable et vain bruit de mon nom et de la petite réputation d’érudit qui s’y attachera. » En quittant les lettres pour la théologie, il eût pu s’enrichir. « Je pourrais être tout doré, dit-il dans la même lettre, si je voulais tirer parti de la théologie : mais je ne le ferai à aucun prix. »

Il faut admirer ici la force des choses, qui fit que l’un des plus grands théologiens de la réforme commença par se débattre longtemps contre la théologie et par la tenir pour suspecte, quoique tout l’y appelât, et qu’il y eût pu trouver dès le commencement faveur et profit. L’histoire de la résistance de Mélancthon n’a d’ailleurs rien de particulier ; c’est l’histoire de tous les hommes supérieurs qui veulent garder leur indépendance au milieu d’une révolution qu’ils reconnaissent comme nécessaire, et qu’ils approuvent. Ils se recommandent et se rendent inévitables par les efforts même qu’ils font pour n’y pas concourir. Vainement ils veulent rester à l’écart, sous le noble prétexte qu’ils renoncent à tout profit dans les conquêtes de l’esprit nouveau sur l’esprit ancien, et à toute part dans les dépouilles opimes du passé. Dieu ne permet à personne cette adhésion timide et spéculative. Il veut que tout le monde combatte, n’importe dans quels rangs ; car, vainqueurs ou vaincus, il aime tous ceux qui ont été sincères et qui ont agi : les indifférens seuls ne trouvent pas grace à ses yeux. Mais il doit avoir en dilection particulière ceux auxquels il a donné à la fois un cœur qui pousse au sacrifice, et des yeux qui en voient toute l’étendue : ceux-là sont les vrais martyrs.

Dans le temps même que Mélancthon se défendait contre toutes les influences liguées pour l’attirer dans les luttes théologiques, Érasme fortifiait sa répugnance par des lettres pleines de sens et de grace, lui montrant, sous les traits les plus aimables, l’image même de cette modération où il mettait tant de prix à le retenir. Ce grand homme offrait à Mélancthon l’exemple tentant d’une vieillesse glorieuse, s’achevant au sein des lettres divines et humaines, en partie restaurées par lui, à égale distance de la routine scolastique et des nouveautés violentes. On lui avait insinué de Rome qu’il essayât de tirer son jeune ami de ces querelles. « Je me suis contenté, lui écrit-il, de témoigner l’espoir que tu es demeuré libre. » Et ailleurs : « J’aurais aimé que ton esprit, qui est né pour les belles lettres, s’y consacrât sans réserve ; il n’eût pas manqué d’acteurs à cette tragédie qui finira