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BONAVENTURE DESPERIERS.

de s’apercevoir, à la dernière strophe de son Voyage, que Marguerite devait avoir le secret de son asile et de ses chagrins :

Retirez-vous, petits vers mistes (mêlés)
À seureté, soubz les couleurs
De celle dont (quand estes tristes)
L’espoir apaise vos douleurs.

Si l’on se reporte à l’époque où Desperiers composait l’agréable voyage dont j’ai parlé, on n’aura point de doute sur l’objet et la nature de ses inquiétudes. Le Cymbalum Mundi, dont il sera question plus tard, avait paru en 1537, et il avait été aussitôt poursuivi avec une violence dont aucune prohibition littéraire n’offre l’exemple. Jehan Morin, l’imprimeur, était en prison ; l’ouvrage était saisi et probablement anéanti ; l’auteur pouvait être déjà nommé dans quelques-uns des aveux qu’arrachait la torture. S’était-il rendu à Lyon pour donner ses derniers soins à la réimpression exécutée en 1538 par Benoist Bonyn, ou, ce qu’il est plus naturel de présumer, n’avait-il d’autre but que de la détruire ? Tout cela est fort incertain, mais les conséquences d’une pareille position se déduisent plus naturellement. L’anonyme était reconnu, Marguerite elle-même était compromise, et Desperiers se tua. Cet évènement ne doit pas être postérieur à l’an 1539.

Il n’est pas possible d’oublier nulle part, en poursuivant cet examen, que toute la destinée de Bonaventure Desperiers est marquée d’un sceau fatal d’incertitude et d’oubli. Ce qu’il y a de plus positif dans la vie d’un écrivain, ce sont ordinairement ses écrits, et les moindres écrits de Bonaventure Desperiers sont enveloppés d’un profond mystère auquel il paraît avoir pris plaisir lui-même. Homme du monde bien plus qu’il n’était homme de lettres, et homme de lettres, seulement parce qu’il était homme du monde, il ne se résout à la publicité qu’en 1537, et il garde avec soin le voile de l’anonyme qu’il avait quelquefois intérêt à ne pas laisser soulever. On ne saurait lui contester l’Apologie de Marot absent, imprimée dans le recueil des Disciples et amis de Marot, Lyon, Pierre de Sainte-Lucie, sans date, mais certainement en 1537, puisque cette pièce y est attribuée à Bonaventure, valet de chambre de la royne de Navarre, par un éditeur qui ne pouvait se tromper sur les différens collaborateurs de son recueil. La réticence du nom de famille est probablement imposée par quelque circonstance particulière, et la persécution exercée dès-lors contre Desperiers est très suffisante pour l’expliquer.