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MÉLANCTHON.

mun à toutes les révolutions, que ces haines personnelles qui, au moyen de noms généraux, parviennent à se donner pour complices toute une ville et quelquefois toute une nation.

Wittemberg souffrait de tous les maux que peuvent causer la plume et la parole, quand elles ont pour prétexte l’intérêt public, et pour motif l’intérêt particulier. La rage de la dispute avait gagné tout le monde : les disciples interpellaient les maîtres ; les écoliers offraient le débat public aux professeurs. Quelques-uns l’acceptèrent, contre le gré de Mélancthon, qui sentait qu’à se commettre ainsi on abaissait la dignité de l’enseignement. Pour les écrits, ils étaient innombrables, à cause de l’amour du bruit qui fait tant d’écrivains, et parce que le sujet y prêtait, la moindre équivoque en théologie fournissant aisément matière à des volumes. Camérarius n’y voyait qu’un remède, la censure, et il la demande honnêtement. Oui, s’il y avait des juges infaillibles. Mais c’est parce que les juges se trompent, qu’on a sagement fait, dans les temps modernes, de ne pas sacrifier le droit à l’erreur, la faculté à l’abus. On avait d’ailleurs, au temps de Camérarius, au moins une sorte de censure. Je vois un décret de l’académie qui interdit toute publication qui ne sera pas revêtue de l’approbation des quatre doyens des facultés et du recteur. Mélancthon lui-même paraît avoir été chargé, auprès de l’académie, des fonctions de rapporteur dans les affaires de ce genre. La censure n’était donc pas à trouver. Si elle ne réprimait rien, c’est peut-être que l’inutilité de la censure n’est guère moins ancienne que son existence.

Il n’est pas étonnant que cette confusion eût relâché la discipline académique. La plupart des jeunes gens avaient une religion fort tiède ; ils aimaient mieux disputer qu’assister avec recueillement aux lectures, à la prière, aux rits du nouvel évangile. La doctrine de la justification dans les œuvres avait produit ses fruits. « Pourquoi nous mettre un frein, disaient les étudians, puisque vous nous enseignez que le soin que nous prenons de gouverner nos actes extérieurs n’est pas la justice pour laquelle Dieu reçoit les hommes[1] ? » En d’autres termes : « À quoi bon nous gêner, puisque cette gêne ne nous doit pas être comptée ? » On les combattait par des subtilités. Mélancthon lui-même, qui est le plus souvent d’une clarté admirable, ne répondait rien de concluant. Il n’osait faire un pas de plus vers les œuvres, de peur d’affaiblir la doctrine de la justification par la foi,

  1. Discours prononcés à l’académie de Wittemberg, tom. IV.