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REVUE. — CHRONIQUE.

et plus encore à sa haute intelligence et à sa renommée européenne ; des nominations récentes au ministère de la justice : tout cela prépare à l’administration des difficultés inextricables peut-être. C’est surtout le 15 avril qui a paru frappé d’une sorte de proscription. Les inimitiés profondes que les proscriptions suscitent peuvent-elles jamais être compensées par les tièdes amitiés qu’attirent les faveurs ? M. Levraud apportera-t-il au ministère une force égale à celle que lui enlèveront les amis nombreux, actifs et justement ulcérés, de M. Martin du Nord ?

Le parti légitimiste en est réduit à toutes les pauvretés d’un parti aux abois d’étranges utopies électorales, des intrigues subalternes, d’inconcevables petitesses, tels sont aujourd’hui ses moyens. Une alliance honteuse avec les démagogues sur le terrain de la question électorale, des visites à Bourges qui heureusement ne sont que ridicules, et le duc de Bordeaux s’échappant d’Autriche comme un collégien de sa classe, voyageant à la suite d’un de ses fidèles, et allant à Rome se faire refuser les portes du Vatican par le saint père, c’est déjà trop pour perdre un parti et en mettre au grand jour toutes les misères. Poussera-t-il ses intrigues plus loin ? Parviendra-t-il à entraîner le jeune voyageur dans quelque folle tentative ? On peut s’attendre à tout ; mais il n’y a rien à craindre. Le cas échéant, les légitimistes seraient trop heureux d’être protégés contre la colère publique par le gouvernement de juillet.

La Catalogne ne tardera pas à être délivrée de la guerre civile. L’expulsion du comte d’Espagne et la délivrance des détenus politiques annoncent le retour de la faction à des idées plus saines et à des sentimens plus patriotiques. Cabrera se trouvera alors isolé et dans la position d’un corps d’armée aventuré, sans base d’opérations, au milieu du pays ennemi. Le désespoir, a-t-on dit, rendra probablement sa colère plus terrible ; peut-être tombera-t-il victime de la terreur qu’il répand autour de lui ; après tant d’atrocités et d’horribles provocations, il est difficile d’imaginer un dénouement qui ne soit pas tragique ; il y a plus d’un mélodrame dans les gorges de l’Aragon. — Sans doute, cela peut se dire ; tout cela paraît fort probable. Mais, si nous sommes bien informés, ceux qui raisonnent de la sorte sont à mille lieues de la vérité. Cabrera commande une armée nombreuse, aguerrie, dévouée. Un millier de carlistes paraît avoir quitté la France pour le rejoindre. Cabrera est toujours le héros des Aragonais. Cependant il ne s’aveugle point sur la cause qu’il défend ; il sait qu’elle est perdue. Il ne se dissimule pas qu’il y aurait folie à vouloir être plus carliste que don Carlos ; il serait prêt à souscrire aux conditions du traité de Bergara. La cause du retard n’est pas l’obstination de Cabrera, mais l’infatuation d’Espartero. La pacification des quatre provinces lui paraît comparable aux exploits des plus grands capitaines. Nous ne pourrions mettre dans la balance que Napoléon avec ses quarante batailles rangées. Cabrera n’est plus aux yeux d’Espartero qu’un vil brigand auquel il ne daigne pas accorder une capitulation ; il veut le prendre et faire un exemple. Que notre ministère y regarde de près, et qu’il ne se paie pas de vaines paroles. La prompte et complète pacification de l’Espagne intéresse la France,