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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/605

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ESSAI SUR LE DRAME FANTASTIQUE.

m’as pas permis de n’avoir qu’une admiration froide et interdite : en m’accordant de regarder dans son sein profond, comme dans le sein d’un ami, tu as amené devant moi la longue chaîne des vivans, et tu m’as instruit à reconnaître mes frères dans le buisson tranquille, dans l’air, dans les eaux… »

Dans cette disposition nous sommes artistes ; dans cette disposition Goethe était panthéiste, ce qui n’est qu’une certaine manière d’envisager la nature en artiste, en grand artiste, il est vrai.

Mais la solitude et la contemplation ne suffisent pas plus à nos besoins qu’elles ne suffisent à ceux de Faust, et ce n’est pas la voix de Méphistophélès qui vient nous arracher à ces retraites, c’est la voix même de l’humanité qui vient nous crier comme lui : Comment donc aurais-tu, pauvre fils de la terre, passé ta vie sans moi ? En effet, nous sentons que toutes nos aspirations vers la Divinité sont impuissantes tant que nous travaillons à nous élever jusqu’à elle hors de la voie qu’elle nous a assignée. Nous sentons que cette belle nature n’est rien sans l’action de l’humanité, à qui Dieu a confié le soin de continuer l’œuvre de la création. En vain notre imagination peuple ces solitudes de rêves enchantés ; les anges du ciel ne descendent pas à notre voix. Notre puissance ne peut évoquer ni les génies de l’air, ni les esprits de la terre. Nous savons trop bien que le génie qui protége la nature terrestre, que l’esprit qui alimente sa fécondité, que l’ange qui forme un lien entre la beauté inintelligente de la matière et la sagesse aimante de Dieu, nous savons bien que tout cela c’est l’homme, c’est l’être voué ici-bas au travail persévérant, et investi de l’intelligence active. D’ailleurs, notre vie ne se borne pas seulement à la faculté de voir et d’admirer le monde extérieur. Il faut qu’il aime, qu’il souffre, qu’il cherche la vérité à travers le travail et l’angoisse. C’est en vain qu’il voudrait se soustraire aux orages qui grondent sur sa tête ; l’orage éclate dans son cœur, la société ou la famille le réclament, le lien des affections ne veut pas se rompre : il lui faut retourner à la vie !

Et bientôt recommence autour de nous le tumulte du monde ; bientôt les sentimens humains s’agitent en nous plus héroïques ou plus misérables que jamais ; et si, dans cet ouragan qui nous entraîne, les pensées de notre cerveau et les besoins de notre cœur cherchent une foi, une vertu, une sagesse, un idéal quelconque, nos travaux d’esprit prennent une direction nouvelle. Ce sentiment du beau matériel, dont l’art était pour nous l’expression naguère, s’applique désormais, riche des formes que l’art nous inspire, à des sujets plus