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brisé, par nos victoires de 1813, l’orgueilleux isolement où vous viviez, et qui faisait que ne voyant, ne connaissant et n’admirant que vous-mêmes, vous deveniez à la fois stériles et vains. Ne maudissons pas trop nos mutuelles défaites. Savez-vous que la régénération de la Prusse date d’Iéna ? C’est Iéna qui a détruit, dans nos lois et dans notre administration, ce que le grand Frédéric, par oubli ou par politique, avait conservé du moyen-âge germanique. Nous pensions que la Prusse, avec son armée plutôt nobiliaire que nationale, avec son administration qui dédaignait l’appui du pouvoir municipal, avec les maximes de Frédéric, qui n’étaient plus qu’une routine mal comprise ; nous pensions que la Prusse était forte et puissante. Iéna nous montra notre faiblesse, et alors nous nous mîmes à travailler sur nouveaux frais. L’esprit libéral, qui a toujours été la providence de la Prusse, vint à notre secours. L’armée devint nationale par la landwher, qui n’était autre chose que votre conscription. Le baron de Stein organisa les municipalités, et introduisit dans cette organisation le principe d’égalité que n’avaient pas admis les institutions municipales du moyen-âge. Ainsi, tandis qu’en Westphalie, en Bade, en Hesse et dans tous les pays réunis à votre empire, vous imposiez vos lois par la conquête, nous les adoptions à l’aide même de nos défaites, opposant à Napoléon la seule force qui le valût, le libéralisme, et aux victoires de la France impériale les principes de la France révolutionnaire. Tant il est vrai que dans cette Europe, qui n’est bientôt plus qu’un même peuple, il n’y a qu’un seul et même esprit qui s’accrédite et se répand à l’aide de la guerre comme à l’aide de la paix, et cet esprit nouveau, c’est vous qui l’avez donné au monde par la révolution française.

La révolution française a été, après le christianisme, la plus grande ère de l’union des peuples, car elle a proclamé le principe de la liberté civile et politique. En vertu de la simple qualité d’homme, tout le monde est appelé à jouir de cette liberté civile, politique et religieuse. La révolution française a donc arboré dans le monde un étendard autour duquel devront se réunir tôt ou tard tous les hommes de toutes les nations ; étendard sacré sur lequel on peut lire aussi : C’est par ce signe que tu vaincras ! Aussi depuis la révolution française, partout, dans la politique, dans la littérature, dans les arts, dans les mœurs, se manifestent les signes de l’unité qui semble le but du monde.

Considérez la guerre de la révolution, la guerre qui a agité l’Europe depuis 1792 jusqu’en 1814. Si nous la considérons seulement