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même de Venise lui répondirent par une salve de sonnets ; on tint des réunions académiques sur ce grave sujet, on imprima même un recueil.

Le vieux type de la poésie milanaise, Meneghino, allait mourir, si par hasard un moine, le père Branda, professeur de rhétorique, ne se fût avisé de médire du patois, de la poésie et des dames de Milan ; ce fut le signal d’une croisade contre le malheureux pédant. Quelques littérateurs le secoururent, alors la guerre devint générale entre les défenseurs du patois et ceux de la langue ; on s’attaqua, on s’injuria, on écrivit une foule de satires, de dialogues ; on publia soixante-quatre pamphlets, et Dieu sait ce qu’on aurait imprimé sans l’intervention du gouvernement, qui coupa court au démêlé. Balestrieri fut le grand champion de cette polémique ; l’irritation faillit lui donner de l’esprit ; il reconstruisit l’abbaye de Maggi ; il y introduisit le nouveau personnage de Sganzerlone tout exprès pour ridiculiser son adversaire. Ce Sganzerlone est un gascon lombard ; il est comique par la vulgarité de ses idées, qui contraste avec la hauteur de ses prétentions littéraires ; il ne peut pas souffrir les trivialités de Meneghino ; il veut parler italien, mais son italien n’est que du milanais avec des terminaisons toscanes. Balestrieri fut si enchanté de cette caricature, qu’après en avoir tiré d’interminables plaisanteries dans ses dialogues de l’abbaye, il la reproduisit dans une comédie dont les personnages n’ont d’autre occupation, pendant cinq actes, que celle de dîner et de causer littérature chez un de leurs amis.

Qui le croirait ? malgré tous ses défauts, Balestrieri mérite qu’on le remarque. À force de feuilleter les quatre gros volumes de ses poésies, on trouve quelques vers élégans, quelques personnages habilement imaginés, une facilité toujours séduisante dans la moindre épigramme. Puis il y a un moyen de se réconcilier avec lui, c’est de le comparer à ses contemporains et à ses successeurs, à un abbé Pelizzoni, par exemple, qui a passé sa vie dans un village et n’a jamais eu d’autre soin que celui de satisfaire sa gourmandise. Pelizzoni aimait les bons dîners, et il s’est complu à les célébrer dans ses vers. Quelques bouffonneries de campagne, les niches que lui faisaient le curé ou le médecin de l’endroit, les flatteries de pique-assiette qu’il adressait à ceux qui lui envoyaient des invitations, quelques bouderies causées par de mauvais déjeuners, ce furent là tous les évènemens de sa vie. Un jour qu’il pleuvait, ses hôtes oublièrent de le faire reconduire en voiture : ce jour-là il écrivit six sonnets contre le procédé incongru de ses amis. Le bienheureux Pelizzoni ne s’aperçut de l’existence de Napoléon que par la cherté du sucre. L’ancien sénat de Milan le regardait néanmoins comme un esprit hardi, et dans une certaine société il passait pour un satirique redoutable. Les autres contemporains de Balestrieri n’étaient pas moins bornés ; un Zanoja est l’auteur d’une adresse envoyée au sénat de Milan sur la révolution de France ; il en est si effrayé, qu’il ne veut pas même qu’on s’arme pour lui résister. Un Tanzi, qui jouit d’une certaine renommée, n’est pas supérieur aux précédens.

En 1796, la révolution française déborda au-delà des Alpes ; elle bouleversa le vieux Milan de Maggi et de Balestrieri. Quand on fonda la république cisal-