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qui l’entoure ; prudent à l’excès, il n’oserait agir sans les avis du cabinet russe, et guidé par ces conseils, il s’aliène toute la noblesse. Michel Stourdza, plus fin, plus hardi peut-être, s’il n’outrepasse jamais la limite de ses droits, sait aussi les faire respecter. La Russie, après avoir fondé Braïlow dans un instant d’illusion ou de générosité, entrevoit l’avenir de cette ville et craint d’y trouver une rivale pour Kerson et Odessa ; le gouvernement valaque n’ose pas poursuivre lui-même les travaux commencés et laisse ce soin aux particuliers. Stourdza, sans s’inquiéter des phrases ambiguës du consul impérial, s’intéresse ouvertement à la prospérité toujours croissante de Galatz. Les revenus de cette ville, qui en 1833 ne dépassaient pas 85 mille piastres, ont atteint en 1838 la somme de 116 mille piastres ; son port est de plus en plus fréquenté. Les Moldaves remarquent avec regret que le pavillon de France est celui qui s’y montre le moins. À Galatz, ainsi qu’à Braïlow, nous n’avons point de vice-consul ; cet état de choses apporte aux progrès du commerce français dans les principautés un obstacle fort grave. Nous n’avons encore malheureusement qu’un commerce très restreint avec la Moldo-Valachie, mais il importe à notre influence politique que des relations plus suivies s’établissent entre nos ports de la Méditerranée et ceux de la mer Noire. Le gouvernement l’a si bien senti, que le ministre du commerce du 15 avril, par une lettre remarquable adressée à la chambre de Marseille, a vivement engagé nos armateurs à diriger leurs navires vers les bouches du Danube ; pourquoi tarder alors à déployer comme une brillante enseigne à Braïlow et à Galatz le pavillon français à côté des drapeaux des autres nations ?

Le paquebot autrichien le Ferdinand, qui fait le trajet de Braïlow à Constantinople, arriva le 23 juin à Galatz. Sur la foi du prospectus, pensant partir le jour même, nous nous rendîmes à bord, mais il nous fallut attendre vingt-quatre heures la levée de l’ancre. Le Ferdinand avait pris des passagers sur la rive droite du fleuve ; les gardes du lazaret ne nous permettant plus de retourner à terre, nous n’eûmes rien de mieux à faire que d’observer la petite société dont le hasard nous rendait membres pour trois jours. Une princesse phanariote, petite-fille d’un hospodar de Moldavie, tenait sa cour sur le pont. Le costume de cette illustre dame était emprunté dans une égale proportion aux modes d’Europe et d’Asie : Brousse avait fourni la brillante étoffe du turban, et Vienne la toile à grands ramages d’une robe dont les manches à l’imbécille annonçaient chez celle qui les portait la prétention d’imiter, en 1838, les exagérations pa-