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raison de les comparer, dans une défaite, aux chèvres qui s’enfuient vers les montagnes, ils leur rendent du moins cette justice que dans leurs châteaux ce sont des lions. Chose remarquable, le fanatisme n’exclut pas chez les Arabes la générosité et la clémence. Des flots de sang seront versés sur les champs de bataille, mais la nation vaincue gardera paisiblement son culte ; l’armée musulmane, au milieu des plus tristes rigueurs de la guerre, respecte les femmes, les enfans, les vieillards, les moines, et pour elle la foi jurée, le traité conclu est chose sainte comme le Koran. L’exercice du catholicisme est libre et sans entraves. Les évêques célèbrent les conciles, et les chrétiens de l’Andalousie, par déférence pour des vainqueurs généreux, font un volontaire hommage, tout en gardant la foi de leurs pères, aux pratiques de l’Orient, et donnent à leurs enfans la circoncision en même temps que le baptême. C’était là une concession sans importance. L’islamisme, pour triompher, s’était vainement armé de toutes ses vertus. En Asie, en Afrique, ses victoires avaient été promptes et définitives, parce qu’il offrait l’unité politique et religieuse à des tribus, débris de mille sectes, qui, dans l’isolement même de la vie nomade, sentaient le besoin puissant d’un lien. En touchant le sol de la Péninsule, il rencontra le christianisme patient, opiniâtre dans le malheur, résigné à toutes les épreuves. L’Arabe était supérieur à l’Espagnol par la culture, l’intelligence, peut-être même par certaines vertus ; mais rien de ce qu’il apportait de grand, d’élevé, ne germa sur la terre conquise. Arrivée dès le début à son dernier degré de force et d’action, la religion du prophète marcha rapidement vers la décadence. La conquête tendit sans cesse à s’éparpiller ; la nation vaincue, au contraire, malgré de continuels morcellemens, s’avança toujours vers une destinée supérieure et plus forte. Le christianisme fut son arche sainte.

C’est un curieux synchronisme que cette double histoire de deux peuples, que ce duel sanglant, au nom de Mahomet et du Christ, sur ce sol à la fois fécond et sauvage, si heureusement disposé pour des guerres sans fin. Pendant huit siècles, l’Espagne poursuit vainement à travers toutes les luttes et les misères le rêve de son unité politique. Chacune de ses provinces est un royaume incomplet, arabe ou chrétien ; mais l’histoire de ces royaumes étroits est toute une épopée. L’unité de foi n’a pas éteint les haines entre tous ces conquérans, d’origines diverses, asiatiques ou africains. Arabes et Berbers ont à peine touché le sol espagnol, qu’ils s’en disputent la domination suprême. Luttes sanglantes, mêlées implacables, où les armées rivales, après avoir combattu plusieurs heures à cheval et à la lance, les lances brisées et les chevaux morts, continuent, pendant tout un jour, à combattre à pied, et finissent par briser leurs épées comme leurs lances. Heureusement pour les vaincus, le dogme de la fatalité est là qui les console, et les plus terribles défaites n’arrachent ni plainte ni murmure. M. Rosseeuw Saint-Hilaire expose avec une très remarquable lucidité les diverses vicissitudes des Arabes d’Espagne au VIIIe siècle, sous la domination des émirs. Il raconte avec une connaissance fort exacte des chroniques musulmanes et chrétiennes leurs guerres civiles, leurs luttes contre les populations indigènes, leurs lointaines excursions dans