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leurs bienfaiteurs[1]. Ces communautés élisaient pour l’expédition de leurs affaires, des espèces de magistrats qui prenaient le titre d’archontes[2]. Elles rendaient même des décrets soit pour témoigner leur gratitude à leurs protecteurs soit pour honorer ceux de leurs membres qui s’illustraient par leurs talens. MM. de Boze et de la Bastie ont signalé parmi les fragmens d’inscriptions trouvés à Nîmes les textes d’un de ces décrets ; du moins lit-on le mot ψήφισμα sur une de ces pierres.

Quelques critiques, ayant remarqué sur les monumens élevés à certains acteurs l’énonciation de diverses dignités, et notamment les honneurs du décurionat, en ont conclu que la loi romaine s’était quelquefois relâchée de sa dureté contre les scéniques, et s’était particulièrement adoucie en faveur des pantomimes. C’est une erreur. Sauf quelques histrions, promus aux charges publiques par des empereurs extravagans et habitués à fouler aux pieds toutes les lois, tels qu’Héliogabale[3], on ne voit pas que la condition légale des acteurs ait jamais changé à Rome. Quant aux honneurs du décurionat et à quelques autres, qui leur ont été plusieurs fois conférés, il faut remarquer que ces distinctions municipales s’accordaient par courtoisie, dans les provinces, à toute sorte de personnes, sans préjudice de l’édit du préteur, qui n’en continuait pas moins d’être en vigueur à Rome. J’ajouterai que, dans plusieurs cas, les dignités dont nous voyons les comédiens revêtus pourraient bien n’avoir été que de vaines qualifications données aux acteurs par leurs confrères, à peu près comme les titres que certaines corporations décernaient, au moyen-âge à quelques-uns de leurs chefs, et qui n’avaient de valeur que dans leur sein et parmi leurs membres : le roi de l’épinette, le roi des jongleurs, le roi des ribaux, etc.

Les édiles de Rome et des principales villes de l’empire passaient, comme les archontes d’Athènes, des marchés avec les chefs de troupe, soit que ceux-ci fussent à la fois acteurs et poètes, comme Livius Andronicus, Nævius, Plaute, etc., soit qu’ils ne fussent que protagonistes-directeurs, comme Ambivius Turpio, Rupilius, Æsopus, Roscius[4], soit même qu’ils ne fussent que simples entrepreneurs, locatores scenicorum, ou, comme on disait plus poétiquement, impe-

  1. On voit gravée sur le sceau d’une confrérie scénique la tête de Gordien pie. Acad. des Inscr., tom. I, hist., pag. 216 et suiv.
  2. Ibid., tom. XIV, pag. 104 et suiv.Cf. Boeckh., Inscript., no 349.
  3. Lamprid., Heliog., cap. XII.
  4. Ces grands artistes, outre des pièces nouvelles, jouaient à Rome, comme on l’avait fait en Grèce, d’anciennes pièces retouchées et rajeunies. Aul. Gell., lib. III, cap. III.