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REVUE. — CHRONIQUE.

Où est donc la vérité ? La voici. S’il n’est guère de particulier vis-à-vis duquel un homme aussi haut placé qu’un ministre ne puisse facilement conserver toute son indépendance et le libre exercice de son intelligence, on conçoit que cette indépendance puisse disparaître, que la personnalité morale du ministre puisse s’effacer devant la majesté royale, devant le pouvoir qui a le droit le plus légitime au respect le plus profond et au plus sincère dévouement. On conçoit que le jugement d’un homme médiocre puisse se troubler devant un monarque éclairé, habile ; on peut craindre que l’homme dont le caractère ne serait pas indépendant et ferme ne devienne un instrument passif dans les mains de la royauté, un exécuteur aveugle de mesures qu’il n’aurait ni pu comprendre ni osé discuter. C’est alors, et alors seulement, que la responsabilité serait un mensonge, car la responsabilité morale ne coïnciderait pas avec la responsabilité légale ; c’est alors que la conscience publique s’indignerait d’une fiction impossible.

Mais placez devant la royauté des hommes éclairés et indépendans ; qu’importe alors de savoir d’où leur viennent les pensées qu’ils réalisent, les mesures, qu’ils prennent ? Sont-elles bonnes ? J’applaudis. Les doivent-ils, en tout ou en partie, aux conseils du roi ? J’en félicite mon pays. Je laisse à d’autres la singulière satisfaction qu’ils éprouveraient s’ils voyaient sur le trône un roi incapable, un mannequin.

Ces pensées, ces mesures, seraient-elles au contraire funestes, pernicieuses ? Le pays en demandera sans scrupule, sans hésitation, sans remords, un compte sévère aux ministres. Ici encore, qu’importe de savoir quelle a été la source première de ces pensées, quel a été le premier auteur de ces mesures ? Des hommes capables, indépendans, les ont adoptées ; donc ils les avaient comprises ; donc ils les ont voulues ; donc, en les adoptant, ils en ont fait leur propre ouvrage ; donc ils en sont justement, légitimement responsables.

Ils en sont responsables comme de toute mesure qui leur eût été suggérée par une personne quelconque. Le ministre habile qui l’adopte la fait sienne ; il en répond, et c’est justice, car le mal ne s’accomplit que lorsqu’il appose sa signature de ministre responsable.

Or, si un ministre quelconque peut conserver son indépendance vis-à-vis d’un simple particulier, c’est un ministre éclairé, d’un caractère éprouvé, haut placé par sa position sociale, ou par sa situation politique, ou par ses talens et sa renommée, qui peut seul conserver sa libre action, ce principe de toute responsabilité légale et morale, même devant la royauté.

D’où sort nécessairement une formule en apparence paradoxale, mais qui touche en réalité au fond des choses. À un roi constitutionnel, éclairé, habile, digne de tous les respects, non-seulement comme roi, mais par ses hautes et rares qualités personnelles, il faut des ministres éminens. Un roi faible, peu éclairé, fainéant, pourrait seul s’entourer d’hommes subalternes et médiocres ; les affaires du pays en souffriraient, mais le principe fondamental de la responsabilité ministérielle n’en recevrait pas d’atteinte. En d’autres termes :