Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/481

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
477
SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

temps comprimé viendront nécessairement les crises commerciales, l’entraînement contagieux de la banqueroute qui bouleverse un pays à l’intérieur, et le dégrade aux yeux des étrangers.

Deux ouvrages, récemment publiés, pourraient servir de manifestes à ces opinions extrêmes. Nous allons les opposer l’un à l’autre, comme correctif nécessaire.

Dans un opuscule intitulé : Du crédit en France[1], M. Courtet de l’Isle pose en principe que la nation dont le crédit est le plus étendu vit aux dépens de celles qui l’étendent moins, que plus on doit commercialement, plus on est fort politiquement. La faillite de la banque belge, le sauve-qui-peut des agioteurs américains ont-ils porté préjudice à la Belgique ou aux États de l’Union ? Il y aurait de la simplicité à le croire. La Belgique n’en demeure pas moins avec une industrie vigoureusement constituée. Il reste à l’Amérique ses canaux, ses chemins de fer, ses défrichemens immenses, son commerce sans limites. Les frais de toutes ces belles choses ont été faits par les capitalistes parisiens, qui ont souscrit des actions à Bruxelles, par les négocians de Lyon et de Liverpool, qui ont fait battre leurs métiers au profit des Américains. « De tous ces faits découle une conclusion bien naturelle, ajoute naïvement M. Courtet de l’Isle, c’est que le peuple le plus habile est celui qui développe le plus son crédit. »

Qu’arriverait-il, nous le demandons à M. Courtet de l’Isle, si tous les peuples, prenant son conseil à la lettre, multipliaient à l’envi les valeurs de confiance, pour se faire un beau jour faillite l’un à l’autre ? Mais n’abusons pas plus long-temps d’une expression indiscrète qui a trahi la pensée de l’auteur, et reconnaissons qu’il est bien loin de préconiser une politique suspecte. Ce qu’il recommande à la France, c’est la prompte mobilisation de toutes les valeurs existantes. Il propose donc de monétiser les contrats hypothécaires et les gages improductifs des monts-de-piété, de réaliser le capital des biens des communes et des hospices, de multiplier les banques privilégiées en autorisant les établissemens libres de crédit, d’organiser des banques agricoles, d’émettre des mandats de petites sommes payables à tous les bureaux de poste ; en un mot, de verser tout à coup dans la circulation une quinzaine de milliards en papier, de grossir le cours indolent des affaires jusqu’à ce qu’il déborde en torrent ! Ce plan nous fait rétrograder jusqu’à l’époque de Law, où l’on croyait enrichir un pays en multipliant les signes représentatifs de la richesse. L’augmentation du numéraire, argent ou papier, n’est profitable qu’autant qu’elle ne dépasse pas une proportion fort difficile à déterminer. Au-delà de ce terme, l’argent surabondant se fait sans profit concurrence à lui-même ; c’est-à-dire qu’avec une même somme on obtient moins de choses qu’auparavant. Il n’y a pas lieu de s’émerveiller, comme le fait M. Courtet de l’Isle, de ce qu’un Anglais, pauvre chez lui avec 3,000 francs de revenu, se trouve presque riche dès qu’il met le pied en Italie. C’est qu’il transporte l’argent, marchandise dépréciée dans son pays, sur un marché où cette marchandise, plus rare, conserve

  1. Chez Ch. Gosselin, rue Saint-Germain-des-Prés, 9.