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permis de se demander. Allons plus loin. L’idéal de la tactique navale a été jusqu’ici de s’élancer en mer, tantôt par escadres, tantôt par vaisseaux détachés, et d’y chercher l’ennemi. Ces rencontres sont glorieuses, brillantes, pleines d’émotions, mais elles sont rarement concluantes dans les hostilités de puissance à puissance. Elles ont plus de retentissement par les douleurs qu’elles causent, que par les dénouemens qu’elles amènent. Un combat sur mer provoque rarement un résultat direct ; il n’agit que par contre-coup ; il n’aboutit pas. Or, s’il est une guerre possible de nos jours, c’est une guerre prompte, qui aille au but, qui tranche vite les questions. Les intérêts ne s’accommoderaient plus ni d’hostilités éternelles, ni de blocus implacables. Économie de moyens, célérité d’action, voilà ce qu’exigent les temps, ce que nous cherchons, ce que la vapeur doit atteindre.

L’invasion de la vapeur dans la marine militaire ne se proposerait donc pas pour fin suprême de continuer le passé dans sa tactique et avec un autre matériel ; mais elle poursuivrait avant tout ce double but décisif pour la France : de déplacer le théâtre de la lutte, et d’identifier nos forces de terre et de mer. Ce que l’on demanderait à la vapeur, ce ne sont pas des services directs, mais indirects. Même avec le plus vif désir de ne menacer, de n’intimider personne, il importe que nulle part on ne se croie complètement à l’abri de notre action continentale. La vapeur, comme moyen de transport, accréditera cette pensée. Elle aura aussi pour mission de réaliser la fusion de toutes les armes, leur assimilation, leur solidarité. Nos deux armées n’ont pas assez de liens, pas assez de points de contact ; elles sont trop circonscrites dans un service spécial ; elles ne se mêlent, elles ne se confondent pas comme elles le devraient. Cette identification, si elle s’opère, constituera l’unité des forces françaises et les élèvera à leur plus grande puissance. L’armée de mer assurera à l’armée de terre la rapidité des mouvemens et de nouveaux moyens stratégiques, en la portant à jour fixe sur les points qui appelleront sa présence ; l’armée de terre, par son concours, empêchera que les triomphes de l’armée de mer ne demeurent stériles et limités dans l’enceinte des vaisseaux. On devine sans peine les avantages inhérens à cette action simultanée ; mais le plus essentiel de tous sera de mettre la France en mesure de choisir le théâtre de ses luttes et de le fixer autant que possible sur la terre ferme. Point de combats sur mer, si ce n’est par exception et dans un cas forcé : la mer est un chemin et non un champ de bataille. C’est l’idée que Napoléon poursuivait au camp de Boulogne ; mais la vapeur lui manquait.