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AVENIR DE NOTRE MARINE.

Ainsi, tout concourt à conseiller l’organisation de la vapeur, sur une grande échelle, et surtout comme moyen de transport. Seule, la vapeur réalisera ce que l’on peut nommer des armées flottantes, toujours prêtes à se jeter sur les points menacés ou à surprendre les côtes dégarnies. Dans sa liberté d’allures, la vapeur choisit à son gré les lieux propices, rase le rivage sans danger, trompe les croisières et atterrit avec confiance. Elle est devant Alexandrie ou les Dardanelles en sept jours, en huit sur les côtes de la Baltique, en Italie dans vingt quatre heures, au Canada dans quinze jours, en Afrique dans trois. Avec elle plus de ces fatigues inséparables des étapes militaires, plus de lourds convois, plus d’inutiles bagages. On ne promène plus la guerre chez des alliés suspects ou mécontens. ; on va droit au cœur du territoire ennemi. Grace à des équipages mi-partie de marins et de troupes de débarquement, aucun succès n’avorte, aucune victoire n’est perdue. Santa-Anna nous fait grace de ses insolens manifestes, et Rosas ne nous tient plus deux ans en échec avec sa poignée de gauchos à demi sauvages. La France peut disposer de toute sa force ; elle est libre de se porter en tout lieu, sur toutes les plages, et il n’est point de nation qui ait le droit de se croire à l’abri de ses atteintes. Les priviléges de topographie disparaissent ; aucun peuple ne peut dès lors concentrer ses ressources dans une seule arme sans devenir vulnérable quant aux autres. Deux actions s’exercent ainsi, l’une préventive, l’autre répressive ; on est à même de se faire respecter et d’agir vivement, de fonder son influence et de ne point éterniser les querelles.

Cet emploi de la vapeur et cette identification des deux armées, en donnant du jeu à nos masses militaires, entraîneraient forcément une grande économie d’hommes et de matériel. L’infériorité numérique des équipages actuels, et l’insuffisance de leurs moyens de recrutement, appellent, à ce titre, cette innovation, et la rendraient précieuse. Quant au matériel dormant, il est évident qu’il pourrait, sous ce régime combiné, subir des réductions importantes. Dans un cas pressant, un appel au commerce pourvoirait aux nécessités d’un transport étendu. La mer étant non plus un but, mais un moyen, non plus une destination, mais une route, il s’ensuit qu’on n’aurait besoin ni d’autant de vaisseaux ni d’autant de marins pour des fins purement expectantes. Si d’ailleurs la voile gaspille les hommes, la vapeur permet de les choisir et de les ménager. Plus on sonde les faits, plus il en jaillit de conséquences heureuses.

Loin de nous la prétention de donner à ces idées le caractère ab-