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REVUE DES DEUX MONDES.

Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,
Inventant aux auteurs des sens inattendus,
Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus, —
Je croyais, car toujours l’esprit de l’enfant veille,
Ouïr confusément tout près de mon oreille
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d’encre, et gais comme des écoliers,
Chuchotter, comme font des oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.
Bruits plus doux que le bruit d’un essaim qui s’enfuit.
Souffles plus étouffés qu’un soupir de la nuit,
Qui faisaient par instant, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre !

Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi d’un pas inégal je suivais mes grands frères ;
Et les astres sereins s’allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l’air silencieux,
Et le doux rossignol, chantant dans l’ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature,
Tandis qu’enfant jaloux, aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis
D’où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l’Olympe, Thésée, Hercule, et toi, Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l’Hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Mais lorsque j’arrivais chez ma mère, souvent,
Grace au hasard taquin qui joue avec l’enfant,
J’avais de grands chagrins et de grandes colères.
Je ne retrouvais plus, près des ifs séculaires,
Le beau petit jardin par moi-même arrangé.
Un gros chien en passant avait tout ravagé ;
Ou quelqu’un dans ma chambre avait ouvert mes cages,
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages,
Et joyeux s’en étaient allés de fleur en fleur
Chercher la liberté bien loin, — ou l’oiseleur.
Ciel ! alors j’accourais, rouge, éperdu, rapide,
Maudissant le grand chien, le jardinier stupide,
Et l’infame oiseleur et son hideux lacet,