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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

personnes, le respect pour vos croyances. Or, tout cela, on peut vous le donner ; tout cela, nous le désirons comme vous.

Mon compagnon écoutait avec attention ; je crus avoir trouvé un côté accessible dans cette ame mobile et fière.

— Nous ne sommes point aussi ennemis que vous le croyez, repris-je : renvoyez vos paysans à leurs charrues, nos soldats rentreront dans leurs cantonnemens, et vous verrez cette grande fureur tomber des deux côtés. C’est le combat journalier qui donne goût à la guerre. Voyez plutôt : hier vous m’auriez tué au premier coin de route, aujourd’hui nous choquons nos verres et nous causons presque comme des amis ; c’est qu’hier vous n’auriez vu que ma cocarde, tandis qu’aujourd’hui vous avez entendu ma voix et échangé la parole avec moi. Croyez-le bien, monsieur, il y a quelque chose de plus puissant que les préjugés des partis, c’est l’entraînement de tous les fils d’Adam les uns vers les autres. Les haines politiques sont des erreurs d’optique de l’esprit. De loin on voit seulement l’idée, et l’on déteste l’homme qui la défend ; mais, en approchant, l’homme reparaît, et l’idée devient seulement un habit qu’on lui pardonne. Ce sont les natures et non les opinions qui font les irréconciliables ennemis.

Boishardy fut un instant sans répondre, on eût dit que mes paroles l’avaient ébranlé.

— Il y a du vrai dans tout cela, reprit-il d’un ton pensif ; mais sais-je même si les chefs républicains consentiraient à la trêve indispensable pour s’entendre ?

— N’en doutez pas : tout le monde est fatigué d’une guerre odieuse, et les colères sont usées. Je connais le général Humbert, faites des propositions, je les lui porterai moi-même.

— Il faudrait consulter les autres chefs.

— Qui vous en empêche ?

— Écoutez, reprit-il après avoir réféchi ; plusieurs d’entre eux se réunissent aujourd’hui même au placis ; si je vous y conduisais, jurez-vous de n’en point abuser ?

— Sur l’honneur.

— Alors, c’est dit, s’écria-t-il en se levant ; sortons.

Il alla prendre son fusil, me remit le mien, et nous partîmes. J’éprouvai quelque surprise de la facilité avec laquelle mes avances avaient été accueillies, mais j’attribuai cet empressement à la lassitude d’une lutte sans issue, peut-être au dépit. J’appris plus tard que ma proposition avait prévenu les désirs du chef royaliste, qui