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de l’intelligence et de la vie morale du genre humain. L’art n’est pas comme une industrie qui s’importe, s’enseigne, s’apprend, s’oublie, prospère ou languit, suivant les circonstances extérieures et locales. Manifestation du côté idéal et religieux de l’humanité, ses révolutions, ses chutes, ses renaissances, sont les évènemens les plus grands et les plus mystérieux du monde moral. Ne soumettons donc pas la marche de l’art à nos petites mesures et à nos petits calculs. N’allons pas croire, comme on l’a tant répété, que c’est par la porte Pie que la mauvaise architecture entra dans Rome[1].

Une objection plus grave est celle qui, allant au fond des choses, se demande si, en général, les collections d’objets d’art, qu’elles s’appellent muséums, galeries, cabinets, glyptothèques, etc., servent ou nuisent aux progrès de l’art, et qui se prononce pour la négative. Cette opinion qui est loin d’être un paradoxe, comme elle en a cependant l’air, a été soutenue par le seul homme qui, à notre époque en France, ait traité l’esthétique en véritable philosophe, et abordé avec succès la métaphysique de l’art, M. Quatremère de Quincy. Son argument principal consiste à dire que l’origine des musées et des collections coïncide toujours avec la décadence des arts, et que ce n’est que lorsqu’on ne fait plus de belles choses qu’on s’occupe à conserver celles qui sont faites. En outre, il observe que les monumens de l’art tirent la plus grande partie de leur beauté et de leurs effets de leur destination, et qu’une fois isolés des milieux où ils furent produits et créés pour un certain but, soit religieux, soit moral, soit simplement pittoresque, ils perdent presque toute leur signification, leur physionomie propre, et sont des objets de pure curiosité sans action sur l’ame. C’est ce qui arrive aux statues antiques accumulées dans nos palais. Il conclut enfin que les artistes modernes, ne travaillant guère qu’à des ouvrages destinés à faire nombre dans quelque muséum, sont nécessairement réduits à ne faire que des œuvres insignifiantes, privées de vie et d’intérêt. C’est ainsi qu’on tourne dans ce cercle vicieux, que les musées sont faits pour former des artistes qui, à leur tour, feront des ouvrages pour augmenter ces musées. Mais tout art digne de ce nom est fait pour la société ; dès qu’il entre dans les musées, c’est qu’il est en réalité sans emploi, c’est-à-dire inutile.

Il n’y a rien à répondre à ces observations. Qu’en conclure cependant ?

  1. Ce jeu de mots courut à Rome à l’occasion d’une porte de la ville bâtie par Michel-Ange, et qui en effet est d’un goût fort bizarre.