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plein de vérité, de proportion et de beauté. Les idées n’existent pas à cause du monde, mais le monde à cause des idées qui sont ses lois. Est-ce la loi qui dépend du phénomène et qui en résulte ? Si la série des phénomènes est suspendue, la loi demeure pour régler encore après des siècles le premier phénomène qui va naître. Où est la vérité ? où est l’erreur ? Faut-il dire que la science doit se traîner sur les phénomènes, ou qu’elle doit s’élever au général, à l’universel, à la loi ? Voilà ce monde chimérique de Platon, cette conception creuse d’un rêveur qui ne résistera pas à la puissante analyse des esprits positifs. Chimère en effet sur laquelle tant de grands esprits ont vécu pour la soutenir ou pour la combattre, qui a occupé des conciles, allumé des bûchers, divisé des congrégations savantes et vécu quelques vingt siècles dans l’histoire, toujours discutée et pendante encore aujourd’hui. Grace à Dieu, quelle que soit la misère de l’esprit humain, l’histoire d’une pure erreur n’est jamais si longue. Mais enfin ce monde des idées sera divers et multiple comme le monde des sens, si ces lois ne sont pas les applications uniformes d’une loi unique, si ces unités génériques ne viennent pas se rapporter à une unité absolue, qui est à la fois l’être absolu, la perfection absolue, le dernier idéal que puisse concevoir la pensée, le beau, le bien, le vrai dans leur essence. Le dernier terme de la dialectique, c’est Dieu ; un Dieu providence, père et architecte du monde. Il a formé ce monde et tous les êtres qu’il contient ; il leur a donné la vie et l’ordre qui est la condition de la vie ; il gouverne son œuvre suivant les lois les plus sages. Attentif à tout ce qui existe, heureux du spectacle de l’harmonie qu’il a produite, la plénitude de sa puissance écarte de lui toute fatigue. Il vit heureux dans l’éternité pendant qu’au-dessous de lui le monde se meut dans le temps : le temps, dit Platon, image mobile de l’immobile éternité.

Lactance s’écrie, dans ses Institutions divines, que Platon a soupçonné Dieu et ne l’a pas connu ; Lactance a raison, s’il étend cette condamnation à toute intelligence humaine. Hélas ! savoir que Dieu existe et qu’il est parfait, c’est véritablement tout ce que peut notre faiblesse, et cela suffit pour un amour et une adoration sans bornes ; mais comment rassasier cette insatiable curiosité de l’homme ? Qui ne connaît ce bel apologue d’un évêque qui se promène au bord de la mer en rêvant à la nature de Dieu, et qui rencontre un enfant qui veut épuiser la mer avec une coquille de noix ? Murillo en a fait une de ses plus belles pages. C’est une triste et humiliante vérité pour notre