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ordre. Rome les appelait à elle ; là était la puissance, là était la gloire. Bientôt l’établissement de chaires d’éloquence et de philosophie richement rétribuées, qui couvrirent en un clin d’œil la surface de l’empire, vint porter le dernier coup au monopole de l’enseignement littéraire, dont Alexandrie avait joui jusqu’alors. Athènes recouvra sa suprématie, et ses écoles furent une seconde fois le rendez-vous des savans de tous les peuples. Alexandrie était perdue, si l’existence du polythéisme, qu’elle seule était préparée à défendre, n’avait été mise en question par les progrès du christianisme.

C’est donc à ce moment de l’histoire, à l’apogée de la puissance romaine, quand l’excès de la civilisation eut usé tous les ressorts de l’esprit humain, et ramené le monde à cette enfance imbécile que produit l’extrême vieillesse ; c’est alors que la religion chrétienne, née dans les derniers rangs du peuple, propagée par des esclaves et décriée d’abord à Rome comme une secte exécrable, commença à remplir le monde et à faire présager une ère nouvelle. À partir de cette époque, l’histoire de l’école d’Alexandrie ne peut plus se séparer de l’histoire du christianisme.

Suivant M. Matter, la décadence de l’école d’Alexandrie commence à la chute des Ptolémées, tandis que je place au contraire dans le siècle suivant le commencement de sa gloire. La religion chrétienne, qui a fini par anéantir l’école d’Alexandrie, est précisément ce qui l’a sauvée au IIe siècle de notre ère. Appelée naturellement à la défense du polythéisme, Alexandrie se trouva à la tête d’un parti ; elle combattit sans succès, mais la lutte fut glorieuse, même pour elle, et le polythéisme parut tout brillant encore au moment où il allait s’éteindre et disparaître pour jamais. Au lieu de comparer les deux adversaires et de rechercher dans les élémens mêmes de la lutte ce qui en a déterminé le résultat, M. Matter prend pour la décadence de l’école d’Alexandrie ce qui est tout au plus la décadence d’Alexandrie elle-même, et il nous abandonne tout à coup, au moment précis où l’histoire qu’il raconte acquiert de l’importance et de la grandeur.

Ce fut une haute pensée des premiers apôtres du christianisme d’établir dans Alexandrie une école chrétienne. Ils comprirent, comme plus tard Julien l’Apostat, que c’était là la capitale du paganisme. À côté de ce musée où toutes les religions étaient reçues, hormis la juive, en face de ce temple de Sérapis où l’on avait accumulé tant de trésors, s’éleva une humble école, un didascalée, une école de petits enfans. Les maîtres de cette école n’étaient pas, comme dans le musée, des chevaliers romains et des gouverneurs de province ;