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De fort habiles gens en doutaient. Il y a des temps où, pour un gouvernement, c’est déjà un grand mérite que d’être. Je ne conçois pas que pendant trois ou quatre ans on ait aspiré à beaucoup plus. C’est à cela, et uniquement à cela, que de 1831 à 1835 on dut penser, et que travaillèrent les cabinets et les chambres. C’est dans cet intervalle que le problème fondamental fut résolu : la révolution devint un gouvernement.

Cette œuvre était grande, et bien orgueilleux serait celui qui dédaignerait l’honneur d’y avoir contribué. Mais elle a paru plus grande encore à certains esprits qu’elle ne l’est réellement. Le succès en était assuré qu’ils la déclaraient encore douteuse, et aujourd’hui qu’il n’y a plus qu’à maintenir le gouvernement et à en user, ils le croient encore à naître. C’est depuis que le danger a diminué qu’ils ne songent qu’à sauver l’état. Qu’on ne s’y trompe pas, le vrai danger du gouvernement n’était pas dans l’existence, dans l’audace des factions ennemies ; il était dans les dispositions de la société à leur égard. Or, la société est avertie maintenant sur leur compte, elle ne se laisse plus prendre à leurs mensonges, elle sait comment en avoir raison, elle sait ce qu’elle ignorait dans les premières années. Elle n’a donc plus uniquement besoin d’être éclairée, soutenue, armée, et son gouvernement a bien d’autres devoirs à remplir. Ce progrès n’est pas d’aujourd’hui. Déjà, vers la fin de 1834, quelques signes annoncèrent que la situation tendait à se modifier, que de nouvelles nécessités allaient surgir, que dans quelque temps le premier besoin du gouvernement ne serait plus d’exister, mais d’agir. Mais surtout depuis cinq ans, tout ce qui s’est fait, tout ce qui s’est tenté, tout ce qui a échoué, a prouvé que la tâche du pouvoir devenait moins simple, et qu’il y avait un nouveau programme à réaliser. Tout le monde ne s’en est pas aperçu à temps ; l’impulsion était donnée, le pli était pris. Beaucoup se sont obstinés à croire que la situation n’avait pas changé, que la politique était la même, que le seul devoir du gouvernement était de se défendre ; que, s’il durait, c’était assez pour son honneur, que le conserver tel quel et résister à ce qui l’ébranle ou seulement l’altère devait être toute l’ambition et tout l’art de la politique. Voilà l’idée exclusive et l’erreur fondamentale du parti conservateur. Tant qu’il y persistera, il pourra bien mériter ce nom de parti conservateur, du moins par ses intentions, mais il ne s’élèvera pas au rang d’un parti qui sait gouverner.

Si l’on veut voir les choses de haut et faire abstraction des rivalités de partis et de personnes, c’est à tirer de cette politique étroite la