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LA HOLLANDE.

faveur dont je suis reconnaissante, en me donnant ces doux momens enlevés à votre dimanche ; accordez-m’en une autre. Tenez, je sais que vous n’êtes pas riche, vous me l’avez avoué à moi-même, et seul dans cette ville, avec vos faibles ressources, vous devez éprouver bien des privations. Permettez-moi de remettre entre vos mains un peu de mon superflu. En vous faisant cette offre, j’obéis, j’en suis sûre, à la volonté de la Providence, qui m’a dotée au-delà de mes besoins, sans doute pour que je puisse aussi à mon tour doter de quelque don ceux qui en sont dignes. Prenez, dit-elle en me mettant une pièce d’or dans la main ; et voyant que je m’éloignais par un brusque mouvement : Oh ! je vous en conjure, ne refusez pas cette modique offrande ; songez que c’est une obole que je n’enlève à personne, dont je puis librement disposer et que vous me rendrez un jour… oui, un jour, quand vous serez riche et heureux comme vous méritez de l’être. — Et parlant ainsi, elle attachait sur moi un regard tendre et suppliant ; puis, glissant une pièce d’or entre mes doigts, elle me serra la main et disparut en me criant : — À dimanche ! Allez, et que Dieu vous bénisse.

Plusieurs dimanches se passèrent de la sorte, moi toujours empressé de revenir m’asseoir dans sa demeure, elle toujours plus heureuse de me voir, me choyant, m’entourant de soins délicats, m’interrogeant avec une sollicitude toute maternelle sur mes études, sur mes besoins, sur mes rêves de jeune homme. Tantôt elle souriait de mes récits ingénus, tantôt elle m’encourageait dans mes travaux, elle applaudissait à mes projets d’avenir, et quand parfois il se trouvait dans mes paroles quelque chose de répréhensible, elle m’adressait des reproches avec une douce et caressante autorité.

J’aurais bien voulu pénétrer aussi dans l’histoire de sa vie, interroger ses souvenirs. Il y avait dans l’expression habituelle de son regard, dans la lente accentuation de sa voix, un caractère de tristesse qui m’intéressait et que je ne savais comment expliquer. À voir sa physionomie ouverte et prévenante, ses grands yeux bleus dont l’âge n’avait pu éteindre l’éclat, ses lèvres qu’entr’ouvrait à certains momens un doux sourire, ce visage d’une coupe fine et gracieuse, on se disait qu’elle avait dû être belle, et je me demandais si le mystère répandu sur sa vie ne cachait pas une de ces passions mal assoupies dont la beauté est souvent le jouet, si sa tristesse n’était pas née d’une de ces amères déceptions du cœur, d’un de ces souvenirs opiniâtres et profonds que le temps efface si lentement, si jamais il les efface. Mais chaque fois que j’avais tenté de la ramener