d’un effet puissant. La mer est surtout d’un mouvement, et nous dirions même d’un dessin admirable. On suit jusque dans les derniers lointains le roulement sans fin de ces vagues qui se poussent, s’effacent et se remontrent plus loin pour disparaître encore ; on y sent une agitation profonde et intestine, on entend leur clapotement triste et continu. Ce n’est pas une mer réelle, comme l’aurait pu faire un peintre de marine, c’est une mer idéale, poétique, vue plutôt par l’imagination que par les yeux, vraie pourtant, mais vraie de la vérité de l’art. Nous pouvons faire remarquer ici que, lorsqu’il arrive aux artistes forts de peindre par occasion des objets étrangers à leurs études habituelles, ils leur impriment un tour original et imprévu qu’on est loin de rencontrer dans les peintres spéciaux. C’est ce qu’on peut voir dans les fragmens de paysage, d’architecture, de mer, de nature morte, semés dans les peintures historiques des grands maîtres ; M. Delacroix a eu ici la même fortune, et son Naufrage nous paraît être incontestablement la plus belle marine du salon.
Après M. Delacroix, et à la distance nécessaire, citons les trois compositions de M. Robert Fleury, qui cette année jouit sans conteste et presque sans partage de la vogue. Ce n’est pas sans doute l’attrait pur de l’art qui convoque et retient la foule devant sa Scène de l’Inquisition ; c’est bien plutôt le sujet. Mais le sujet ne suffirait pas seul, et c’est déjà un grand mérite à l’artiste de lui laisser son intérêt. On ne peut certes rien imaginer de plus propre à produire des effets nerveux que le spectacle d’un homme couché sur le dos par terre, au fond d’une cave, les deux jambes fixées séparément dans deux trous d’une pièce de bois de manière à laisser dépasser seulement ses pieds, exposés de près à un feu ardent qu’attise incessamment un bourreau, tandis que des moines, à mine sinistre et impitoyable, suivent impassiblement les progrès et les résultats de la torture. M. R. Fleury a rendu tout cela exactement, sans exagération, mais aussi sans pitié. Ses expressions sont vraies, sa pantomime juste, quoique d’une justesse et d’une vérité communes. Joignez à cela une exécution étudiée du tout et de chaque partie, une lumière à oppositions fortes et par conséquent à effet, des accessoires peints avec science et avec goût, et on aura assez de quoi justifier l’empressement du public pour ces peintures recommandables. Ce ne sont pas là des qualités supérieures, mais elles suffisent dans les limites où circonscrit l’artiste, et, dans des choses si difficiles, c’est beaucoup d’être suffisant.
Les nombreuses peintures de M. Biard, quoique d’un goût tout