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affreuses pièces, l’héroïne arrivait sur la scène tenant en main l’épée qui venait de percer le cœur de son bien-aimé. Cette épée était teinte de sang ; la malheureuse passait sa main sur cette lame et la retirait toute rouge ; elle la regardait d’un œil fixe, puis la montrait aux spectateurs avec égarement. Ce n’était pas tout encore : elle étendait le sang dans sa main, sur ses bras nus, le regardait de nouveau avec désespoir, le montrait encore aux assistans, l’essuyait enfin avec ses longs cheveux flottans, et se jetait à la renverse en poussant de ces éclats de rire sardoniques d’un effet prodigieux quelquefois, mais dont les acteurs médiocres font en Angleterre un abus vraiment déplorable. Voilà où en est encore le drame en Écosse, pays essentiellement littéraire, qui cependant n’a jamais eu et qui probablement n’aura jamais ni théâtre, ni acteur, ni poètes dramatiques.

Les critiques écossais reconnaissent d’un commun accord la nullité de leur théâtre, et s’en consolent ; ils ne disent pas, comme M. Bulwer : Ce n’est pas le génie dramatique, mais ce sont les bons drames qui nous manquent ; ils avouent franchement qu’ils n’ont ni bons ouvrages dramatiques, ni aptitude à rien produire dans ce genre qui soit supportable. En France, disent-ils, le drame assassine et viole ; il vole en Angleterre. La perspective n’est pas assez séduisante pour exciter de bien grands regrets. Les critiques écossais se sont donc contentés de railler plus ou moins amèrement M. Bulwer sur ses naïves recettes pour restaurer le drame moderne et pour rouvrir les sources taries de l’intérêt dramatique ; la simplicité et la magnificence, ces deux bases du drame futur, à en croire l’écrivain anglais, leur ont paru bien ruineuses pour porter un édifice d’une architecture si fantasque et si terrible. Ils n’ont pas cru non plus, comme l’auteur de Pelham et de Mademoiselle de La Valière, que le germe du drame futur reposât tout entier dans le mélodrame actuel. Ils pensent que c’est plutôt au fond de l’ame humaine, sous l’amas de ses ardentes passions, qu’il faut chercher ce germe créateur, et nous sommes tout-à-fait de leur avis.

Les Écossais avouent d’autant plus volontiers leur infériorité dramatique, que sous tout autre rapport ils ont une excellente opinion d’eux-mêmes, et que, comme poètes philosophes ou critiques, ils se croient sans rivaux. Cette prétention a pu être légitime un instant ; mais aujourd’hui les grandes lumières sont éteintes, l’illustration véritable a fait place au mérite secondaire, et ces hautes prétentions ne sont plus fondées que sur des titres rétroactifs. En un mot, le génie littéraire de l’Écosse est remarquable encore, mais moins puissant que son génie industriel, qui paraît bien autrement assuré de l’avenir.