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RÉFLEXIONS SUR JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

fondamental de toute législation sur la terre, où la loi, au lieu d’être considérée comme un poteau de mort autour duquel il faut accumuler les cadenas et les chaînes pour enserrer les hommes, mais comme un arbre de vie dont la sève, entretenue avec soin, doit toujours pousser des branches nouvelles pour abriter et protéger l’humanité, ce jour-là les institutions seront revêtues d’un caractère durable, parce que l’essence même de la loi sera le renouvellement perpétuel des formes. Alors il ne sera plus nécessaire qu’une loi tombe en décrépitude et devienne odieuse ou absurde pour être violemment abrogée au milieu des convulsions sociales. Toute loi sera développée, continuée, perfectionnée, et, par là, éternelle dans son essence. Les formes successives qu’elle aura revêtues en traversant les siècles pourront être enregistrées dans les archives de la famille humaine et gardées avec respect comme les monumens du passé, au lieu d’être lacérées et foulées aux pieds dans un jour de colère, comme des prétentions tyranniques et des obstacles injustes.

« Quand ce jour, dont nous saluons l’aube dans notre pensée, sera venu pour nos descendans, cette vaine distinction des hommes forts et des grands hommes, des penseurs et des réalisateurs, des philosophes et des administrateurs, s’effacera comme un rêve de ténèbres. Le penseur, n’étant plus gêné dans son essor, pourra voir la société accepter ses décisions, et il ne sera plus nécessaire dans les vues providentielles que le martyre sanctionne toute démonstration nouvelle, tout essor de grandeur. L’homme d’action pourra donc être un homme de méditation, n’ayant plus à lutter contre les obstacles sans nombre et sans cesse renaissans qui absorbent et tuent aujourd’hui la raison et la vérité dans les ames les plus énergiques. Et réciproquement, le penseur, n’étant plus livré à la risée des sots ou à la brutalité des puissans, ne risquera plus comme aujourd’hui de s’égarer à travers les abîmes et de tomber, par l’effet d’une réaction inévitable, dans des erreurs ou dans des travers causés par l’amertume et l’indignation de la souffrance. Jusque-là, nous verrons encore souvent, comme nous le voyons toujours dans le passé, ces deux principes en lutte, le présent et l’avenir, et au lieu de s’unir et de s’entendre dans une œuvre commune, les hommes forts et les grands hommes se livrer une guerre acharnée ; les premiers, inintelligens et grossiers malgré tout leur génie d’application, ne voyant que le jour présent et ne produisant que des faits éphémères sans valeur et sans effet le lendemain ; les seconds, injustes ou insensés, ne connaissant point assez les hommes de leur époque faute de pou-