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se fait surtout sentir sur les nouvelles recrues, dont près d’un dixième est enlevé la première année. La rareté des communications établies avec la montagne rend le commerce de Derbent tout-à-fait nul. Les bazars consistent en quelques boutiques presque vides ; je n’y remarquai qu’une grande abondance de fruits excellens. La population de Derbent et du district de ce nom s’élève à environ quinze mille ames, parmi lesquelles on compte beaucoup de juifs et de musulmans des sectes d’Ali et d’Omar.

La route qui conduit de Derbent à Kouba est praticable pendant une partie de l’année pour des chariots de poste ; elle n’est interrompue que par la crue des eaux qui suit la fonte des neiges. Le Samour, quoique se divisant en une multitude de bras, offre souvent un passage aussi difficile que dangereux. Les relais de poste sont établis dans de petites redoutes entourées d’un fossé et d’un mur en terre revêtu de palissades en bois. Quelques Cosaques gardent ces redoutes. Presque tous, ainsi que les écrivains des postes et les postillons, étaient attaqués d’une fièvre qui leur laisse à peine quelques instans de repos. À l’exception de plusieurs villages entourés d’eaux vives et ombragés de beaux arbres et d’immenses vergers, je ne remarquai aucun point intéressant sur la route de Kouba. Je traversai, pour me rendre dans la ville, la rivière de Kudialtchaï, laissant à ma droite un village de juifs karaïtes. Ces juifs, fidèles à l’Ancien Testament, ont rejeté les compilations du Talmud et les commentaires des savans hébreux. La simplicité de leurs doctrines ajoute à la pureté de leurs mœurs, et les juifs karaïtes jouissent partout d’une considération refusée aux autres Israélites.

Je passai au milieu de la forteresse de Kouba ; elle est entourée d’une palissade en bois et d’un mur en terre défendu par quelques canons. Cette forteresse résista, en 1838, à l’attaque de quatre mille montagnards qui voulurent enlever Kouba. Le siége dura deux jours, mais on se borna à l’échange de quelques coups de fusil. Depuis cette tentative aussi maladroite qu’infructueuse, les habitans du district de Kouba, qui se compose de cent cinquante villages, et renferme une population de cent mille habitans, se sont vu retirer la permission de porter des armes. C’est la seule province dans laquelle les Russes aient pu appliquer cette mesure de précaution. Nulle part ailleurs ils ne l’ont tenté, et il serait douteux qu’ils pussent réussir, car les montagnards tiennent plus à leurs armes qu’à la vie ; leur poignard ne les quitte jamais, et dans toutes leurs excursions ils portent un long fusil et un sabre. Les pistolets sont peu en usage