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dernes dont la Hollande s’honore. On les compte par centaines, par milliers, et nulle part ils n’ont été publiés avec tant de luxe. Mais la rime, si musicale qu’elle soit, ne constitue pas la poésie, et le poème le plus élégant, le plus correct, peut bien n’être qu’une œuvre de labeur et de patience dénuée de verve et d’inspiration. Or, tel est souvent le cas en Hollande. La patience est l’une des qualités les plus caractéristiques des habitans de ce pays, la nature même de leur sol la leur enseigne ; l’entretien de leurs digues, le dessèchement de leurs marais, les forcent à la mettre sans cesse en pratique ; l’art dont ils se glorifient, l’art des Gérard Dow, des Mieris, des Berghem, en est la plus gracieuse, la plus idéale expression, et leurs poèmes épiques, leurs bergeries, leurs strophes didactiques, ont pour la plupart le même caractère d’élaboration calme, régulière, soutenue.

L’organisation sociale de la Hollande, la tendance pratique des esprits, tendance qui se manifeste déjà dans les plus anciennes annales de cette contrée, n’étaient pas de nature à donner un grand essor à l’imagination de ses poètes. Tandis qu’en France, en Allemagne, les grands seigneurs appelaient la poésie dans leur château, dans leurs tournois, et lui donnaient pour ornement l’écharpe brodée par une main chérie, ou le blason conquis sur un champ de bataille ; tandis que la chevaleresque Espagne chantait sous les orangers de Grenade la grandeur des rois maures et le triomphe du Cid ; tandis que Italie Boiardo et Arioste faisaient revivre dans les merveilleux caprices de leur imagination les riantes et glorieuses traditions du moyen-âge ; tandis qu’en Angleterre Spencer consacrait dans sa Reine des Fées les dogmes symboliques de la chevalerie, et que Shakespeare de sa main gracieuse et puissante broyait tour à tour sur sa palette immortelle les roses de l’Orient et les sombres couleurs du Nord, en Hollande, les grands seigneurs succombaient l’un après l’autre dans le désordre des guerres civiles. La féodalité était vaincue par le commerce, la noblesse par la bourgeoisie. De bonne heure les villes de Flandre et de Hollande s’élèvent et prospèrent par l’habileté de leurs calculs et les efforts de leur industrie ; et s’il y a dans ces villes une corporation qui défend avec intrépidité ses priviléges, un Arteweld qui fait trembler Louis XI, il n’y a point de Médicis.

Cependant, comme il faut que la poésie, cette fleur du ciel, jette partout ses racines et germe sur les rocs sauvages du Nord comme dans les jardins embaumés de Sacountala, sous l’humble toit de l’ouvrier, comme sous les plafonds dorés des châteaux, la poésie éveilla l’attention des bourgeois de Hollande. Ils l’accueillirent avec une