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LA HOLLANDE.

grave bienveillance, comme une ingénieuse distraction qui devait être soumise à certaines règles, et qui pouvait avoir ses agrémens à certaines heures. Il se forma de côté et d’autre des sociétés littéraires qui faisaient profession de se dévouer au culte des muses, de travailler aux progrès de la langue nationale et au perfectionnement de la poésie. Kops, qui a écrit une histoire de ces sociétés, fait remonter leur origine très haut. Il y en avait une, dit-il, à Leyde avant l’année 1200, une autre à Diest, fondée en même temps que l’Académie des jeux floraux de Toulouse, la plus ancienne Académie de l’Europe. Cependant nous croyons que l’association des confrères de la passion et des clercs de la bazoche a servi de modèle à la plupart de ces sociétés. Elles prirent seulement à tâche de remplacer ce qu’il y avait de trop aventureux dans les œuvres de leurs confrères de France, de trop gai dans leurs allures, par une tenue décente et des lois respectables. La première avait pris le titre de chambre de rhétorique, toutes les autres suivirent son exemple. Ce mot de rhétorique n’était pas une expression abstraite. C’était le nom d’une belle et puissante reine qui avait dans son empire des princes renommés, tels que Démosthène et Cicéron, Homère et Virgile. On n’entrait point au service d’une si grande dame sans quelque préliminaire. À moins d’un mérite extraordinaire, on n’arrivait pas tout d’un coup au premier rang. Il fallait monter de grade en grade, gagner ses priviléges par ses services. Mais aussi quelle magnifique perspective s’ouvrait aux regards des fidèles sujets de leur reine Rhétorique ! D’abord on était trouveur (trouvère), inventeur de nouveaux sujets et de nouveaux mots. De là on arrivait au grade de doyen qui exerçait déjà une sorte d’autorité magistrale sur les jeunes disciples des muses. Puis on était promu à l’emploi de facteur, et chargé par là de composer les pièces officielles pour les solennités, de préparer le programme des fêtes et des grandes réunions. De cette imposante dignité au titre de prince il n’y avait qu’un pas. Pour une ode, pour une ballade heureusement rimée, on se trouvait un beau matin placé par la société au même rang que Démosthène et Virgile, ce qui ne laissait pas que d’être fort honorable ; et en faisant encore un effort, on avait la chance d’être proclamé empereur, c’est-à-dire quelque chose de plus élevé en grade que dame Rhétorique elle-même. L’histoire ne dit point combien d’heureux poètes hollandais sont arrivés à ce rang suprême, ni par quels chefs-d’œuvre il fut mérité.

Outre ces grades littéraires, les chambres de rhétorique avaient un