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LITTÉRATURE ANGLAISE.

simple. Les souvenirs de l’histoire la dominent et la décident. En fait d’intelligence écrite, nous gens du XIXe siècle, nous possédons deux traditions. L’une nous vient du Midi, transmise par cette noble Grèce dont Rome et la Gaule moderne n’ont fait que copier les théories et suivre les préceptes. L’autre descend du Nord et se détache absolument des idées grecques : celle-ci plus jeune et plus vaste, mais plus incomplète ; celle-là, plus vénérable et plus parfaite, mais usée par son passage à travers tant de peuples qui l’ont adaptée à leurs mœurs et à leur langage. Cette division, que Gottsched, Lessing, Schlegel, Mme de Staël, Bodmer et quelques autres ont voulu indiquer sous les noms de classicisme et de romantisme (bannières dont l’une fut récemment arborée par de si brillans esprits), était inévitable, puisqu’elle représente les deux élémens victorieux qui se trouvent au fond de la société moderne, Rome d’abord, héritière intellectuelle des Grecs, et le teutonisme ensuite, ce flot énergique qui a ravivé le monde au IXe siècle. Demandera-t-on pourquoi je condamne de la manière la plus absolue les dénominations que l’étourderie des critiques allemands a imposées à la bonhomie du public français ? Le voici.

Le mot classique, génie classique, auteurs classiques, rattachait les formes de l’art, telles que la Grèce les a inventées et perfectionnées, non pas à la Grèce elle-même et aux maîtres du style et de la pensée, mais à de certaines habitudes scolaires, pédantesques et classiques, habitudes d’imitation, de verbiage et de servilité. C’était abdiquer ses pères, c’était relever de Priscien, de Servius et des commentateurs d’Alexandrie, c’était adopter pour guides les derniers grammairiens et glossateurs C’était puiser les ondes helléniques, la source homérique et primitive, mais dans le dernier ruisseau fangeux qui avait suivi le cours des siècles en se chargeant de mille débris. C’était ainsi professer l’imitation de l’imitation, préférer à l’invention la formule, répudier la création, se proclamer servile et courir les chances de la déclamation en fait d’éloquence, de la platitude en poésie, de tout ce qui est vulgaire, convenu et de troisième main. Les noms sont les signes des choses. Le mot classique indiquait à lui seul la débile infirmité du système. Il n’y a pas « d’école classique ; » et ce qui le prouve, c’est le sens même des mots : « école classique » veut dire école qui est une école, ou classe qui est une classe. Voyez un peu par quels mots les hommes se laissent conduire.

Le mot romantique, adopté par Mme de Staël, est pire encore ; il n’indique pas, comme le mot « école classique, » une tautologie ana-