Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
REVUE DES DEUX MONDES.

il le faut, ou les Portugais ne seront jamais un peuple actif, libre et sérieux[1]. Il faut donc, ou détruire tous les titres, ou, en accordant des droits égaux rendre infranchissable la barrière de vanité qui sépare les différentes classes. Détruire les titres est aujourd’hui impossible, peuple et nobles se soulèveraient à la fois ; puis, tout est tellement abaissé au ras de terre, qu’il faudrait hésiter avant d’enfouir quelque chose de plus, fût-ce un abus, dans la poussière des révolutions successives. Si l’esprit d’égalité sévère commande qu’il n’y ait point de distinctions parmi les hommes, il n’ordonne certainement pas d’augmenter le nombre des privilégiés au préjudice d’une société entière. L’envie peut l’exiger, non la pure égalité. Ce généreux principe doit être surtout respecté en ce qu’il élève l’humanité entière. Si au contraire cette facilité de tous à obtenir des distinctions qui ne sont pas méritées abaisse la dignité de l’homme et éloigne la nation de la route qu’elle doit suivre pour son bien et son honneur, il serait odieux de sacrifier la véritable fierté aux soupirs de quelques vaines ambitions. En Portugal, un des points les plus essentiels est de n’accorder aucun titre nouveau. Le terrain est si épineux, que je crains toujours de voir mes idées mal interprétées. Abandonnons les noms pour retenir les choses ; sans cela, elles échapperont dans la Péninsule à la domination des principes libéraux. Ainsi donc, vive la constitution catholique, apostolique et romaine ! comme disait une vieille femme des Açores en voyant s’embarquer l’expédition de don Pedro. Mon but principal, dans les deux points sur lesquels je me suis arrêté, est de relever aux yeux du peuple sa nouvelle situation. J’aimerais à obtenir un peu d’orgueil pour ceux qui ne veulent pas en avoir.

La première et la plus indispensable mesure, même sous le point de vue moral, pour mettre en harmonie les mœurs du peuple avec les conditions de la vie moderne, est la modification des majorats. À peine existe-t-il en Portugal d’autres modes de propriété. Le sol en est couvert, car la manie du plus pauvre a toujours été de devenir morgado[2], ce qui lui donne un certain parfum de noblesse, et glorifie à ses yeux sa paresse et sa vanité ; la destruction des petits majorats est le complément essentiel et radical de la mesure qui interdirait

  1. Une des causes les plus actives des dissensions civiles fut la fureur des titres, et il y a telle révolution qu’on peut justement appeler celle des vicomtes, telle autre celle des barons, car ceux qui s’y employèrent le plus l’ont fait pour obtenir ces distinctions. Cette inondation de nobles n’a nullement flatté les instincts du peuple ; elle est devenue pour le gouvernement un sujet de ridicule et de discrédit, en même temps qu’elle stimulait l’insatiable envie d’un grand nombre. La corruption de la vanité est bien dangereuse ; comme celle de l’argent, elle n’a pas de limites, et elle est à la portée de toutes les intelligences et de tous les cœurs.
  2. En France, le mot majorat donne exclusivement l’idée de la richesse et de l’importance. On comprend difficilement les sentimens et les positions aristocratiques inutiles. Ce sont pourtant celles-là qui dominent impérieusement les mœurs d’une nation, et en Portugal il existait, dit-on, quatre cent mille constitutions de majorats.