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teau du scélérat, était de jour en jour moins grande. Guincestre insultait en chaire le président de Harlay, et quelques jours après de Harlay et soixante membres du parlement étaient mis en prison. Au milieu de tous ces désordres, le peuple mourait de faim ; mais la démocratie des ligueurs se souciait peu de ces misères. Les prédicateurs mangeaient le chapon gras, et faisaient piller les meilleures maisons de la ville pour avoir leur part du butin.

Les violences contre Henri III allaient toujours croissant. Boucher le traitait de Turc, de magicien, de harpie, de diable ; les plus réservés parlaient de l’enfermer dans un cloître, et Mme de Montpensier portait toujours une paire de ciseaux pour lui faire une couronne de moine. Les outrages de la chaire, cependant, ne pouvaient suffire à contenter les haines. On eut recours aux pamphlets, et les prédicateurs payèrent encore de leur plume. Boucher, le boutefeu, le trompette, se mit à l’œuvre, et dans le De justa Henrici tertii abdicatione, il fouilla la Bible et l’histoire pour absoudre, pour glorifier le tyrannicide, et démontrer à l’aide des anagrammes qu’Henri III était indigne de la couronne, et de la moindre pitié, attendu que l’on trouvait dans ses noms : O Deus ! Verè ille antechristus ! Ô le Judas ! Vilain Hérodes ! dehors le vilain, et : crudelis hyena.

Jacques Clément se chargea d’appliquer les théories. À la mort de Henri de Valois ordre fut donné par les seize aux prédicateurs de justifier l’assassin, de prouver que le Béarnais ne pouvait monter sur le trône, et que tous ses partisans devaient être excommuniés. Les curés de Paris se conformèrent de tout point à ces instructions, le régicide fut glorifié comme un acte saint, et le pape donna son approbation. Dès ce moment, toutes les haines, toutes les fureurs, se reportèrent sur le Béarnais. Henri IV, à la prise de Vendôme, avait fait pendre le cordelier Robert Chessé, qui s’était mis à la tête d’un vaste complot organisé à Tours contre la vie du feu roi, et que les habitans de Vendôme eux-mêmes avaient signalé comme le principal auteur de la révolte de leur ville. La ligue inscrivit Chessé sur son martyrologe, et appela sur Henri IV les vengeances du peuple et de Dieu. Des missionnaires étrangers, dont le plus célèbre fut Panigarolle, évêque d’Asti, étaient mêlés à toutes ces luttes. Les seize, le pape, Philippe II, donnaient tour à tour le mot d’ordre, et, comme le dit M. Labitte, « c’était un spectacle impie, que celui de tant d’idées générales, de tant de théories diverses, ici monarchiques, là républicaines, mises de la sorte au service des passions, répudiées ou prônées selon les chances des partis. » À toutes ces injures, à tous ces efforts des factions, Henri IV avait répondu par des victoires. Les chefs de la sainte union et leurs agens, les prédicateurs, n’en devinrent que plus actifs. On ne comptait plus dans Paris que trois curés de paroisse, qui prêchassent la paix et se souvinssent de l’Évangile C’étaient les curés de saint-Méry, de Saint-Eustache et de Saint-Sulpice. Le 8 mai 1590, Henri IV vint mettre le siége devant Paris. Les prédicateurs, aidés du légat Gaetano et de l’ambassadeur espagnol Mendoza, organisèrent la résistance. Pendant la durée du siège, ils prêchèrent deux fois par jour, et, comme ils étaient bien munitionnés de vivres, ils exhortaient avec une ardeur