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contre Henri IV les couteaux spirituels et matériels, les fidèles à ne jamais faire la paix avec les hérétiques, et surtout avec le roi, attendu qu’il suivait plusieurs cultes et pratiquait une polygamie de Turc.

Porthaise et Boucher avaient en quelque sorte résumé dans ces sermons les dernières théories de la ligue. C’était la partie dogmatique, le manifeste, la dernière manœuvre de la grande guerre. Les escarmouches duraient encore, il est vrai ; sur plusieurs points de la province, et dans quelques églises de Paris, les prédicateurs essayaient de ranimer la lutte ; mais leur temps était passé. Garin avait beau crier dans son église : « Quand bien même le Béarnais aurait bu toute l’eau bénite de Notre-Dame, je ne croirais pas sa conversion sincère. » Le peuple l’écoutait encore, mais par pure curiosité. Henri IV d’ailleurs venait d’être sacré à Chartres, et les ligueurs, dans ces extrémités, étaient réduits à espérer un meurtre providentiel. Dans l’égarement des dernières fureurs, ils tentèrent même de corrompre Gabrielle d’Estrées pour l’engager à tuer le roi, qu’ils appelaient Holopherne ; mais Gabrielle ne se laissa point tenter par la gloire de Judith. Henri IV entra enfin dans Paris, fort heureusement pour le bien du royaume. Il proclama en faveur des prédicateurs l’oubli du passé, et pour toute justice se contenta d’en exiler trois ou quatre, en compagnie de quelques bedeaux et sacristains, dans des abbayes bien rentées. On vit alors ce qui se voit souvent en temps de révolution ; quelques-uns de ces prêcheurs qui avaient combattu le plus vivement, furent les premiers à chanter le Te Deum. Ceux qui eussent arquebusé Henri IV avec grande satisfaction quelques mois auparavant, quittèrent la pertuisane et prirent le goupillon pour le bénir et l’asperger au passage. Les plus habiles demandèrent des pensions, qu’ils obtinrent ; c’est là de l’histoire moderne. Ils avaient tous du reste fini leur rôle, et les plus heureux furent encore, après tout, ceux qui étaient tombés, pendant la lutte, avant la défaite ; la mort les avait sauvés de l’apostasie.

Je regrette, dans cette exposition rapide et bien incomplète, de n’avoir pu suivre M. Labitte à travers tous les détails de son livre, car c’est surtout par ces détails, par mille faits rassemblés çà et là, dans les mémoires, dans les sermons, les pamphlets, les pièces diplomatiques, qu’on peut juger de l’esprit qui animait les ligueurs. Le travail est complet. La biographie, l’histoire politique, la bibliographie et l’histoire littéraire s’y prêtent une mutuelle lumière, et l’auteur a porté çà et là, sur les évènemens généraux et sur les hommes, des jugemens souvent neufs et toujours piquans. M. Labitte, dans une conclusion ferme et concise, résume au point de vue historique le but, les moyens, les conséquences de ce grand mouvement du XVIe siècle, que le président Hénault appelle l’évènement le plus singulier peut-être qu’on ait jamais lu dans l’histoire. La ligue, a-t-on dit, a donné à la France l’unité politique comme conséquence de l’unité religieuse ; mais le réveil de l’esprit municipal, mais les gouvernemens locaux, ne sont-ils pas là pour témoigner que l’union, en tendant au fédéralisme, préparait au royaume une organisation pareille à celle des cantons suisses ou des républiques italiennes ? Ses théories démocra-