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et fait cela comme un confesseur : aussi le roman n’a-t-il pas été achevé d’imprimer[1]. » Jamais des esprits artistement doués n’ont imaginé de faire du roman une thèse catholique. L’art n’est pas un instrument de démonstration ; le poète ne prêche ni ne plaide, mais il comprend et vivifie toute chose.

Nous n’ignorons pas que de grands écrivains ont fait d’une pensée philosophique le motif d’un roman. Rousseau, dans la Nouvelle Héloïse, a voulu prouver que la pureté morale d’une femme n’était pas ternie par une faute ; Mme de Staël, dans Delphine, a démontré que c’était pour la femme une nécessité sociale de plier sous le joug de l’opinion. Ces deux thèses sont admirablement traitées, mais elles communiquent aux romans qui les développent une froideur mortelle. On sent une lutte continuelle entre la démonstration et la fable, et cette lutte est funeste aux impressions que l’art doit donner. Le roman n’est pas une forme de l’argumentation philosophique, c’est la peinture de la vie, c’est Tom Jones, c’est Gil Blas, c’est Waverley, c’est Wilhem Meister ; là le poète est comme un autre créateur, car son livre n’est pas moins immense, n’est pas moins varié, que le monde où nous nous agitons.

Le héros du roman de M. Guiraud, Césaire, est un jeune prêtre de Catalogne qui lutte contre une passion que lui a inspirée une novice des Carmélites de Pedralbas. Pour en triompher, il ne recule devant aucun sacrifice : il renonce à entendre en confession les saintes filles du couvent de Pedralbas, il cherche la solitude, le désert ; mais ses supérieurs ne lui permettent pas de prolonger cette retraite, et il reçoit l’ordre d’aller assister à ses derniers momens une religieuse qui se meurt dans ce fatal couvent de Pedralbas. On devine que la mourante est précisément la novice qui a touché le cœur de Césaire. Il la confesse et il apprend que sa passion était partagée. Cependant il conserve assez de force pour exiger de la novice expirante un entier renoncement à toute attache terrestre. Il l’administre, reçoit son dernier soupir, et durant plusieurs semaines est en proie à une fièvre ardente. Un soir, pendant sa convalescence, il aperçoit dans le port de Barcelone un vaisseau qui devait transporter à Ceuta plusieurs condamnés aux travaux forcés ; l’équipage n’avait pas d’aumônier ; Césaire le lendemain matin était sur le tillac du vaisseau voguant en pleine mer, et distribuait aux condamnés des consolations religieuses. Arrivé aux bagnes de Ceuta, il est atteint de la fièvre jaune et suc-

  1. Mémoires de Tallemant des Réaux, t. IV.