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M. Guiraud a exagéré au-delà de toute mesure la pensée exclusive dont Bossuet a fait la base de son éloquent Discours sur l’histoire universelle. Quand le génie développe un paradoxe ou une idée incomplète, il lui est facile de faire illusion, même long-temps, sur ce que sa donnée principale a d’insuffisant ou d’erroné. Une heureuse disposition du sujet, un style d’une majestueuse fermeté, des mouvemens d’éloquence, des phrases qui peignent, des mots qui résument, enfin tous les genres de beauté répandus avec abondance à travers une exécution savante, voilà par quels charmes un maître comme Bossuet sait imposer sa manière de juger l’histoire. Mais quand vous êtes en face d’une pensée fausse inhabilement exprimée, quand rien ne la rachète, quand elle se trouve aggravée, au contraire, dans tous ses inconvéniens, par une exagération malencontreuse, alors votre esprit reconnaît l’erreur dont la grossièreté le choque, et il se reprend à sentir d’autant plus vivement le vrai, que le mensonge est plus maladroit et plus flagrant. À qui M. Guiraud espère-t-il faire croire que, jusqu’au règne d’Auguste, il n’y a eu pour les sociétés que décadence et corruption ? Peut-être cette façon d’apprécier les choses humaines s’enseigne-t-elle au fond de quelques séminaires, mais elle n’a pas cours dans le monde. La science moderne constate activement l’enchaînement des temps, la déduction des idées, et reconnaît de plus en plus dans le christianisme une transformation, un développement nécessaire de pensées et d’opinions préexistantes.

Au début du roman de M. Guiraud, on se trouve à Carthage. Lucius Festus, préteur d’Afrique, est poignardé sur son tribunal par Flavien et ses amis. Flavien, au milieu d’une bruyante émeute, proclame empereurs les deux Gordiens. Le peuple, par ses acclamations unanimes, ratifie l’élection et court chercher, dans leurs maisons de campagne le vieux Gordien et le jeune Antonius son fils, pour les ramener triomphalement à Carthage. Flavien, pour toute récompense, n’a demandé à Antonius, que de lui céder une jeune esclave dont il avait remarqué les graces pudiques au milieu d’un banquet. Néodémie, c’est le nom de cette esclave, est chrétienne, et ne tarde pas à exercer sur le cœur de Flavien un singulier empire. Et cependant le cœur de Flavien n’est pas entièrement libre ; il arrive à ce jeune patricien de sourire à la vue de Faustine, femme d’Antonius. La voix de Faustine remue je ne sais quel trouble dans mon ame… On ressent là quelque chose de ténébreux, comme on dit dans le drame moderne ; mais passons, et laissons l’ame de Fla-