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votre parti ; l’Espagne vous repousse, elle aurait pu vous briser. Exercer la tutelle en demeurant sur la terre étrangère, serait une pensée folle ; rentrer en Espagne, vous ne l’oseriez pas. Votre protestation n’est donc qu’un brandon de discorde jeté au sein de la patrie, une tentative de contre-révolution, un crime. En statuant sur la tutelle de la reine et de la princesse héréditaire, les cortès ont pourvu à une impérieuse nécessité ; il n’y a pas de droit acquis contre le salut du peuple. Que nous importent les cavillations du droit civil ? Fallait-il confier la reine de la révolution de septembre à l’ennemie que cette révolution a renversée, et livrer nos plus chers intérêts à une émigrée ?

C’est ainsi, ce nous semble, que parle une révolution qui triomphe et qui ne doute pas d’elle-même. Espartero disserte et récrimine longuement ; il cherche à confondre son adversaire par ses propres aveux ; peu s’en faut qu’il ne lui défère le serment décisoire. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est le soin qu’il met à nous prouver que le régent et ses ministres ont été complètement étrangers au fait de la tutelle, qu’ils se sont scrupuleusement abstenus de toute intervention, qu’ils ont attendu le décret des cortès avec une résignation toute passive. Il paraît qu’en Espagne cela s’appelle gouverner.

Nous en avons conclu qu’au fait la révolution de l’an dernier n’est pas aussi populaire en Espagne et aussi enracinée qu’on veut bien nous le dire. Un parti a vaincu, mais ce parti n’est pas le pays. Il ne compte guère dans ses rangs que la plus grande partie de l’armée et la population de quelques grandes villes. Le reste de la nation se divise en carlistes, constitutionnels modérés et indifférens. Malheureusement ces derniers sont de beaucoup les plus nombreux. Aussi les luttes politiques ne seront en Espagne, pendant long-temps encore, que des combats partiels ou des intrigues.

Chaque parti s’efforce d’obtenir ce qui lui manque, l’assentiment et les sympathies des masses. De là tous ces efforts de rhétorique pour les persuader. Ce ne sont pas les masses qui, par l’énergie de leurs sentimens, poussent les chefs et leur donnent l’élan ; ce sont les chefs qui cherchent à exciter les sentimens des masses. Aussi leur langage est-il plein de ménagemens et de détours. Encore une fois, la prolixité de leurs manifestes n’est pas une erreur littéraire ; elle est le résultat d’une position incertaine et timide.

Au reste, ce n’est pas là la seule conséquence fâcheuse de la situation précaire d’Espartero. Ne trouvant pas d’appuis bien solides en Espagne, il en a cherché au dehors, et s’est montré disposé à se jeter dans les bras de l’Angleterre. Le cabinet anglais, qui, dans la Péninsule, a toujours secondé le parti exalté dans l’espoir de le maîtriser et de lui imposer ses vues commerciales, n’est certes pas d’humeur à lui prêter son assistance morale gratuitement. Loin de là. Il est impatient d’obtenir le prix de ses condescendances, et les exigences anglaises ne sont pas faciles à satisfaire. Espartero ne tardera pas à se trouver dans de cruels embarras. Imposer à l’Espagne à la fois une révolution militaire et la domination anglaise, c’est trop. Nous aimons à être justes avant tout. Les exaltés eux-mêmes ne suivront pas Espartero dans cette direc-