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efficace et des garanties sérieuses, nul doute que la catastrophe ne pût encore être reculée, et peut-être pour un temps assez long. Ce que les chrétiens veulent aujourd’hui, c’est la sûreté de leurs personnes, de leurs biens, de leurs familles, le respect de leur culte, de leurs coutumes ; ce qu’ils demandent, ce sont des priviléges qui les mettent à l’abri des infâmes vexations et des cruelles extorsions d’un pacha. Une fois ces garanties obtenues, il se passera des années avant qu’ils éprouvent fortement des besoins d’un autre ordre ; l’indépendance et la liberté politique sont des germes qui malheureusement ne se développent que fort tard dans des cœurs comprimés par une longue servitude. Que la Porte tourne ses regards vers certains pays de l’Europe auxquels, il faut le reconnaître, le bien-être matériel ne manque pas ; elle pourra se rassurer sur l’impatience politique des peuples. C’est la tyrannie qui les rend impatiens, et encore pas aussi impatiens qu’ils devraient l’être.

Du reste, ces conseils ne nous sont certes pas dictés par le désir de voir des populations chrétiennes soumises au gouvernement du sultan. S’il était en notre pouvoir de les en affranchir demain, pour les constituer en états indépendans, nous n’hésiterions pas un instant. Hélas ! ce n’est là qu’un rêve. Si une catastrophe éclatait dans l’empire, les chrétiens, nous le craignons fort, n’échapperaient au cimeterre du Turc que pour tomber sous le knout du Russe. Belle délivrance ! Certes, en présence d’un pareil résultat il est permis, sans être taxé d’égoïsme national, de songer aux intérêts français et à la paix du monde. La paix du monde serait profondément troublée par la chute de l’empire ottoman. Comment se flatter que de si grands intérêts et si divergens pourraient être aisément conciliés par la diplomatie ? L’Europe, stupéfiée, laisserait-elle l’Angleterre et la Russie courir seules à la curée et se rassasier à leur aise ? Si l’Europe se refusait à pareille infamie, quel serait le moyen de conciliation ? Comment la France, qui ne touche pas à l’Orient, comment la Prusse trouveraient-elles une compensation aux agrandissemens possibles de l’Angleterre, de la Russie et même de l’Autriche ?

Sans doute ces grandes questions devront être résolues un jour. Nous n’osons pas en désirer la prompte solution. La Porte seule peut la retarder en s’unissant fortement à son puissant vassal et en faisant aux populations chrétiennes toutes les concessions qu’exige la civilisation européenne à laquelle en réalité elles appartiennent.

En attendant, il est un point très spécial sur lequel il importe de ne pas fermer les yeux. La Syrie a-t-elle été complètement évacuée par les Anglais ? Nous ne le croyons pas. L’occupation anglaise, nombreuse ou non, peu importe, n’a plus de prétexte. On a voulu expulser Méhémet-Ali : il est expulsé. On nous assure que le traité du 15 juillet est un fait accompli, qu’il est entré dans le domaine de l’histoire. Pourquoi donc des Anglais, de l’artillerie anglaise en Syrie ? Casimir Périer, pour contre-balancer l’occupation des légations par les Autrichiens, mettait garnison française dans la citadelle d’Ancône.

La question d’une association commerciale franco-belge occupe toujours