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par cela seul qu’on le proclame ! On conçoit la neutralité de la Suisse. La nature l’a préparée, les hommes l’ont proclamée. Renfermée dans le grand noyau des Alpes comme dans une forteresse, la Suisse peut, si elle le veut résolument, défendre sa neutralité, même envers une grande nation ; elle le peut du moins assez pour que l’agresseur soit retardé dans sa marche, et que l’ennemi de l’agresseur ait le temps d’accourir au secours du neutre. C’est dire que nul n’a intérêt de violer la neutralité suisse sérieusement défendue, sûr qu’il serait de trouver plus tard les Suisses avec leurs forces presque intactes dans les rangs de l’ennemi. En est-il de même de la Belgique, de la Belgique, pays plat, pays ouvert ? Quelques forteresses offriraient-elles aux Belges les ressources que les Alpes offrent aux Suisses ? Nul ne le pense. La puissance qui aurait intérêt à occuper la Belgique s’empresserait de l’envahir avec des forces considérables et par surprise, afin d’avoir promptement bon marché de l’armée belge, et de ne pas laisser le temps d’arriver à son secours. La neutralité belge disparaîtrait en un clin d’œil. La Belgique a toujours été et sera toujours un champ de bataille ; il est aujourd’hui reconnu que les actions décisives des grandes guerres s’accomplissent toujours aux mêmes lieux.

Quoi qu’il en soit, toujours est-il que la neutralité officielle de la Belgique offre aux puissances rivales de la France des prétextes pour s’immiscer, indirectement du moins, dans les affaires belges. On laisse sans doute entendre au gouvernement belge que, si son droit existe, il y a aussi pour un état neutre des ménagemens à garder ; qu’il doit éviter tout ce qui peut le rendre suspect de partialité et de tendances exclusives ; qu’il ne doit pas laisser établir des liens qui, dans le cas d’une guerre européenne, donneraient à la France des moyens d’influence incompatibles avec le principe de la neutralité. Que sais-je ? c’est là un thème que la diplomatie peut développer et embellir à son aise. Une question de droit, nettement posée, peut se trancher en deux mots ; sur une question de convenance politique, on peut écrire des volumes.

Probablement ces insinuations diplomatiques ont déjà ralenti l’élan du gouvernement belge, si toutefois cet élan a jamais été réel. On parle moins aujourd’hui d’association commerciale : on y substitue l’idée fort modeste d’un traité de commerce. Quant à nous, association ou traité, peu nous importe. L’association a sans doute ses difficultés ; les traités, à certains égards, sont plus difficiles encore. Nous n’avons pas le temps de développer aujourd’hui notre pensée. Ce que nous demandons à notre gouvernement, c’est de ne rien précipiter. Une mauvaise loi vaut encore mieux qu’un mauvais traité. On est maître de ses lois ; les traités vous lient. Nos négociateurs de transactions commerciales n’ont pas encore acquis le droit de nous inspirer une confiance sans réserve.

M. le ministre des finances vient de publier, sur la question du recensement, une circulaire pleine de sens et de modération. Espérons que les paroles conciliantes du ministre ramèneront le calme dans les esprits et mettront fin à la déplorable querelle que l’esprit municipal vient de susciter.