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qu’on n’ose nommer ; à côté de la réhabilitation du vol, nous trouverions, en effet, celle du parricide et l’invitation à l’épouse de plonger le fer dans le sein de l’époux qui, « en retenant captive la femme qui ne l’aime plus, attache une vipère sur son cœur. »

C’est assez, c’est trop peut-être, car la justice du pays a déjà parlé, et ces hideuses folies ont rencontré devant elles l’autorité du bon sens public et de la loi. Mais la pensée fondamentale qui les inspire, l’éversion du principe de la propriété, se révèle chaque jour, il faut bien le reconnaître et le confesser, sous les formes les plus hardies et les plus diverses. Pendant qu’un troisième transfuge du sacerdoce, l’auteur de la brochure Ni châteaux ni chaumières, justifiait devant la justice ses idées politiques et religieuses, en les présentant comme empruntées à Mably et à Volney, nous lisions avec une curiosité avide et triste l’œuvre d’un esprit original qui porte de remarquables qualités d’écrivain au service d’un parti dont le symbole s’élabore avec une audacieuse persévérance dans les profondeurs où il se cache. L’auteur d’un volume étendu publié sous ce titre : Qu’est-ce que la propriété[1], a entrepris d’établir par une suite de théorèmes que cette institution est la violation la plus manifeste et la plus insigne de toutes les lois de la nature, de la logique et de l’expérience, et que la propriété ne saurait se défendre en fait non plus qu’en droit. C’est la boîte de Pandore, et l’auteur en fait sortir tous les maux sous lesquels gémit l’espèce humaine depuis le commencement des temps ; mais tout annonce et présage, selon lui, une transformation radicale de la société, qui, pour trouver le bonheur dont elle a si vainement poursuivi l’image, n’a plus qu’à changer son hypothèse fondamentale, comme Copernic changea celle de la science.

La métaphysique et l’algèbre sont tour à tour invoquées dans le hardi procès intenté à la foi des nations, et l’auteur, rejetant avec une apparence de profondeur toutes les hypothèses et toutes les théories, s’attache à démontrer qu’aucune d’elles ne constitue d’une manière solide le droit de propriété. Ce droit ne prend pas sa source dans la nature elle-même, comme l’ont voulu Rousseau, Reid, et tant d’autres, car le tien et le mien sont l’expression de droits personnels, il est vrai, mais égaux, et, appliqués aux choses hors de nous, ils indiquent l’usage et non la propriété ; ce droit ne résulte

  1. Qu’est-ce que la Propriété, ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement par P.-J. Proudhon.