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pas de l’occupation, ainsi que l’établissent Cicéron, les anciens, et après eux la plupart des jurisconsultes modernes, car si la raison et l’utilité commune consacrent le principe de la paisible jouissance du premier occupant, comment ne pas voir qu’un abîme sépare cette possession, essentiellement subordonnée au double fait de la détention et de l’usage, de la propriété héréditairement et arbitrairement transmissible ? La propriété ne sort pas du droit divin, car si Dieu a attribué la terre au genre humain, quiconque n’a rien reçu doit protester contre l’usurpation. Le droit de propriété ne résulte pas davantage du travail, car l’histoire dément formellement cette origine ; il n’est pas consacré par le droit des gens, car il a été la source de toutes les calamités sous lesquelles gémissent les peuples, et depuis dix-huit cents ans il est sous le coup des anathèmes de l’Évangile, dont l’église n’a pénétré ni le génie ni la portée. La propriété ne s’appuie donc que sur la loi civile, c’est-à-dire sur la souveraineté de la force, destinée à disparaître bientôt devant la souveraineté du droit. L’avenir maintiendra la possession individuelle en la réglant de manière à déterminer la plus grande masse de production possible, mais il flétrira la propriété comme il a flétri l’esclavage car la propriété c’est l’esclavage de la nature extérieure. Supprimer le droit de propriété en réglant rationnellement le mode de possession, tel est aujourd’hui le véritable problème à résoudre. Cette difficulté tranchée, l’égalité s’établira naturellement et d’elle-même dans la région du travail, comme elle est établie dans les relations de la vie civile, car, toute capacité travaillant étant de même que tout instrument de travail un capital accumulé, l’inégalité de traitement, de salaire et de fortune, sous prétexte d’inégalité de capacité, est injustice et vol.

Mais suivons jusqu’au bout l’enchaînement de ces principes, et voyons où l’on arrive par la route aplanie du syllogisme.

« Le commerce a pour conditions nécessaires la liberté des contractans et l’équivalence des produits échangés : or, la valeur ayant pour expression la somme de temps et de dépense que chaque produit coûte, et la liberté étant inviolable, les travailleurs restent nécessairement égaux en salaire, comme ils le sont en droits et en devoirs.

« Les produits ne s’achètent que par des produits : or, la condition de tout échange étant l’équivalent des produits, le bénéfice est impossible et injuste. Observez ce principe de la plus élémentaire économie, et le paupérisme, le luxe, l’oppression, le vice, le crime, avec la faim, disparaîtront du milieu de vous.