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qu’elle le tient. Insensible au lied populaire dont Bürger se faisait l’écho, il méconnut aussi le Minnelied, le tendre et mélodieux Minnelied. Ainsi, déshérité par sa faute du double élément de toute poésie lyrique en Allemagne, Schiller dut naviguer au hasard sur l’océan fougueux de sa propre imagination, et se sentir incessamment ballotté entre l’antique et nous, qui, en fait de lyrisme à proposer à l’imitation étrangère, n’avions guère à cette époque que les odes et les cantates de Jean-Baptiste Rousseau. N’importe ; les poésies de Schiller eurent leur temps, on se laissa prendre à ce pathos magnifique, à cette inspiration luxuriante, à cette loyauté chevaleresque ; le fond, un peu contre l’habitude, emporta la forme cette fois. Personne n’imagina que l’auteur de la Cloche et de Friedolinn, en dépit de ses allusions à la France, de ses velléités politiques et de son germanisme effervescent, était un lyrique moins national que Bürger, Hagedorn, Günther, et tous ceux qui se rattachaient par Luther à la vieille Allemagne. Il y eut aussi dans cette adoption générale plus d’une circonstance particulière. L’intérêt qui devait entourer un grand poète tel que Schiller, son air mélancolique et souffrant, son enthousiasme si honnête, si généreux, si vrai, en un mot, l’appareil extérieur ne manqua point de jouer son rôle en cette occasion. La main qui faisait vibrer les cordes de la lyre portait au doigt de si riches diamans, que l’attention en fut éblouie, et, comme une alouette au miroir, vint donner d’elle-même dans le piége. Pour dissiper le charme, il fallut que l’imitation s’en mêlât. Les imitateurs ont cela de bon, qu’avec eux on n’a point à craindre les prestiges : dès qu’une forme défectueuse leur échoit, ils ont bientôt fait de vous en montrer tous les vices ; ce que le génie maintenait à force d’art et d’exécution tombe alors de soi-même et disparaît. C’est justement ce qu’il advint de la forme lyrique de Schiller.

Nous ne prétendons pas dire ici que les défauts dont nous parlons entachent toutes les poésies lyriques de Schiller, et qu’il ne se trouve çà et là dans le nombre plus d’une pièce dégagée de ce ton emphatique et déclamatoire. Quel poète, même en ses égaremens, même en ses plus vaines théories, n’a point fait de pareilles rencontres ? Quel poète n’a eu de ces inspirations où sa nature se révèle ? Il ne s’agit plus alors de théorie et de manière ; l’idée entraîne avec elle la forme, et l’épanouissement s’accomplit selon les lois les plus simples. Il s’en faut de beaucoup que l’œuvre lyrique de Schiller soit dépourvue de mouvemens de ce genre, de motifs aimables et de bon aloi. Il y a des perles de la meilleure eau dans cet océan tumultueux et