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si le Freyschütz même, ce chef-d’œuvre heureux qui n’avait jusqu’ici qu’à se montrer pour conjurer les plus mauvaises fortunes, tombe et disparaît du répertoire sans que le public s’en soucie davantage que d’une symphonie de M. Berlioz ? Heureusement le gracieux ballet de Giselle s’est trouvé là pour aider à traverser l’été. Mais une pareille situation ne saurait se prolonger davantage. Que fait-on pour en sortir ? quels opéras nouveaux tient-on en réserve ? quels débuts ? Le Comte Ory et Robert-le-Diable sont des chefs-d’œuvre, mais voilà bien long-temps qu’on le sait, et tout le monde connaît les espiègleries de Mme Stoltz dans le page Isolier, aussi bien que les efforts furieux auxquels Duprez se livre dans Robert. On a parlé des débuts de M. Poultier, le fantastique tonnelier de Rouen ; les journaux ont même retenti d’une querelle survenue entre ce ténor et l’administration de l’Opéra, au sujet du rôle dans lequel il paraîtrait pour la première fois. M. Poultier demandait Arnold dans Guillaume Tell, l’administration ne voulait lui donner que le Mazaniello de la Muette. Nous ignorons comment la querelle se sera vidée ; une chose certaine, c’est que le tonnelier ne débute pas. En attendant, on travaille à la mise en scène de la partition nouvelle de M. Halévy. À défaut de Meyerbeer, qui plus que jamais persiste à se récuser, on prend ce qui se rencontre. Cinq actes de M. Halévy, le Chevalier de Malte, destiné à servir de pendant à la Juive : à la bonne heure ! voilà du contrepoint pour tout l’hiver : que le Conservatoire se rassure ! S’il faut en croire ce qu’on raconte, Duprez aurait été mis de côté cette fois, et le rôle principal de l’ouvrage serait écrit pour Barroilhet, jeune chanteur qui gagne du terrain chaque jour. Quant à Mme Stoltz, la prima donna par excellence, il va sans dire que les triomphes de la Favorite se renouvelleront pour elle en cette occasion. L’Opéra fera bien de renoncer décidément à la partition nouvelle de M. Meyerbeer, dans les circonstances actuelles du moins ; il serait en effet curieux de voir, après tant d’incertitude, de scrupules et de combats, l’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots s’en remettre aux garanties que peuvent lui offrir les talens et l’ensemble aujourd’hui florissans à l’Académie royale de Musique. Si M. Meyerbeer avait dû confier un rôle à Duprez, par exemple, il l’aurait fait déjà depuis long-temps. Ce n’est pas lorsque le grand chanteur n’est plus que l’ombre de lui-même, que le maître ira se décider à le prendre pour interprète.

L’Opéra-Comique est plus heureux. Les reprises lui réussissent. Dernièrement Mme Rossi nous a rendu la Dame blanche, et ce joli chef-d’œuvre contemporain, qui frise ses vingt ans, a paru d’hier, pour la grace du sentiment et la fraîcheur des mélodies. Le vent est aux réactions musicales ; l’Opéra-Comique y pousse et fait bien. Après la Dame Blanche est venue Camille. On ne se souvient guère de Dalayrac aujourd’hui, et cependant comment refuser à sa musique des qualités aimables, toutes françaises, de ces qualités qui doivent suffire pour sauver un nom de l’oubli ? Cela déclame un peu sans doute, mais chante aussi. Le motif d’ailleurs s’y retrouve, le motif de Boïeldieu, d’Hérold et d’Auber ; c’est quelque chose de sentimental, de légèrement tendre et passionné ; il y a du Florian dans le chevalier Dalayrac. Remar-