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REVUE DES DEUX MONDES.

— Personne ! il n’y a personne ! s’écria la dame d’un air triste et contrarié ; Mme de Blanquefort est à la ville sans doute.

En ce moment la porte s’ouvrit, et une femme déjà sur le retour de l’âge parut au perron. La voyageuse hésita : sa mémoire lui retraçait une figure blonde, rose, souriante ; elle ne reconnaissait pas ce visage pâle, flétri, et dont les traits étaient altérés par une effrayante maigreur.

— Ma sœur ! ma chère sœur ! s’écria la dame les larmes aux yeux.

Elles se jetèrent en pleurant dans les bras l’une de l’autre ; une joie douloureuse pénétrait leur ame. Après tant d’années d’absence, elles retrouvaient au fond de leur cœur les sentimens, les tendres affections de leur première jeunesse, et pourtant elles avaient eu peine à reconnaître sous leurs rides ces traits que toutes deux avaient gardés si jeunes et si charmans dans leur souvenir. Après ce premier instant d’effusion et d’attendrissement, Mme Godefroi retira ses mains des mains de sa sœur, et, reculant un peu pour la mieux considérer, elle lui dit avec un grand soupir : — Cécile, nous avons vieilli !

— Non, ma chère Adélaïde, vous n’êtes pas vieille, répondit Mme de Blanquefort ; à présent c’est moi qui suis votre aînée. Mon Dieu ! qui croirait le contraire en nous voyant ensemble ? qui ne me donnerait dix ans de plus qu’à vous ?

En effet, Mme Godefroi avec sa taille haute et ferme, son fard, sa poudre et son élégant déshabillé, représentait encore quelque chose de ce qu’elle fut naguère, tandis que sa sœur n’avait plus même l’ombre de sa beauté passée. D’ailleurs on voyait à l’ajustement de la marquise qu’elle négligeait complètement les ressources de la toilette, qu’elle ignorait l’art qui étaie et conserve des attraits que le temps commence à sillonner de son ongle cruel et profond. Soit dédain de la mode, soit quelque autre motif, elle ne portait point de poudre, et ses cheveux blonds, entremêlés de fils argentés, étaient relevés sous le béguin de grosse mousseline qui encadrait son front austère. Elle était vêtue d’une simple robe de fleuret violet dont les plis flasques et sans ampleur laissaient apercevoir la maigreur excessive de ses formes.

Mme Godefroi, les yeux fixés sur ce blême visage, semblait y chercher la fraîcheur, le sourire, les charmes à jamais effacés qu’elle avait laissés jadis dans toute leur splendeur ; elle semblait interroger cette physionomie triste, immobile, éteinte, avec une douloureuse