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REVUE DRAMATIQUE.

dant, pour nous donner un démenti, qu’il s’enferme dans son cabinet d’étude avec une pensée sérieuse, qu’il s’abandonne dans le recueillement aux divins épanchemens et aux purifiantes ardeurs de cette immortelle prière qu’on nomme le travail, et puis, suivant la belle expression de M. de Vigny, tout frémissant des souffrances que son ouvrage lui aura causées, qu’il vienne soumettre cet ouvrage au public : nous lui promettons pour notre part, sinon approbation sans réserve et enthousiasme sans examen, du moins attention profonde et ardente sympathie.

Encore une fois, ce qui nous anime surtout contre la comédie de M. de Balzac, c’est l’inspiration qui l’a produite, c’est l’ordre de sentimens et d’idées dont elle est l’expression. Il a existé de tout temps deux espèces de drames, le drame du cœur et le drame des faits, celui qui repose sur une grande passion, celui qui porte sur une action héroïque. À notre époque, il s’en est formé un troisième, qu’à défaut d’autre nom j’appellerai le drame social. Pour écrire les deux premiers, il faudrait un cœur de poète et un esprit de moraliste, une intelligence de politique et un sens d’historien ; pour écrire le dernier, outre les qualités de poète, d’historien, de moraliste et de politique, il faudrait avoir le jugement certain et la sagacité prophétique du législateur. Mais, s’il est indispensable qu’on trouve dans le drame social la trace de tous ces mérites pour qu’il ait droit à l’admiration, il suffit, pour qu’il ait droit à l’estime, qu’on y découvre un but désintéressé et une conviction sincère. Or, je ne vois point de conviction dans l’œuvre de M. de Balzac, et, s’il y a un but, il n’est certainement pas désintéressé. Quand on se souvient du véritable lyrisme, du ton sombre et inspiré avec lequel l’auteur des Contes drolatiques a déploré maintes fois que toute son activité littéraire ne lui fit point gagner des millions, cinq grands actes consacrés tout entiers à la douleur d’un industriel que ses machines à vapeur ne conduisent pas à la fortune font faire des rapprochemens fâcheux. Ce que M. de Vigny réclamait pour les soldats de la pensée dans la noble et éloquente plaidoirie qu’il appela Chatterton, c’est ce que demandaient jadis les généraux de nos armées pour ceux qu’ils menaient au feu, du pain et de la gloire. Ce que M. de Balzac semble demander, je laisse à deviner au nom de qui, c’est de la célébrité et de l’argent.

Les Ressources de Quinola et Chatterton, ces deux pièces qui contiennent deux requêtes si différentes, représentent les deux littératures qui depuis long-temps déjà sont en présence l’une de l’autre. M. de Balzac, dans une fameuse lettre que nous n’avons pas oubliée, comparait autrefois le monde des écrivains au monde militaire, en s’assignant à lui-même la dignité de maréchal. Ne pourrait-on pas le comparer plutôt au monde maritime et dire : Il y a deux motifs qui font affronter les périls de la mer, le désir de s’enrichir et le désir de servir le pays ; en un mot il y a deux marines, la marine royale et la marine marchande. Ceux qui s’engagent dans la première sillonnent l’Océan toute leur vie pour gagner une paire d’épaulettes qui leur