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Dans une autre époque, ce n’est pas le Tasse, c’est Tassoni, c’est Boileau, qui en aurait été le chantre. Nous avons dit une lutte municipale, car les députés de la France, non contens de défendre les intérêts de leur département, défendent avec un zèle indomptable les intérêts de leur arrondissement, de leur commune, de leur hameau. Un dessinateur devrait se donner la peine de tracer, sur une carte de la France, un chemin de fer qui pût satisfaire toutes les exigences et donner gain de cause à tous les réclamans. Quel admirable zig zag ! Et comme chacun parle au nom de l’intérêt général, on pourra intituler ce beau dessin : carte des intérêts généraux de la France ! Ce serait un prospectus aussi vrai que beaucoup d’autres.

En ajournant la loi des sucres, en découvrant tout à coup des obstacles et des oppositions qui certes n’étaient pas difficiles à prévoir six mois plus tôt, le ministère n’a pas eu de peine à se faire approuver par la chambre. En cela encore, ce n’est pas sa volonté ; c’est la volonté de la majorité qu’il a faite. Il a eu la modestie de croire qu’en portant dans la discussion tout le poids, toute l’autorité de son opinion, il ne pourrait pas entraîner le vote de la chambre. Dès-lors il a dit : — Je voulais, mais je ne puis ; donc je ne veux plus. — On l’a accusé d’avoir sacrifié un grand intérêt public à des intérêts électoraux. Sur cette accusation, nous sommes tout disposés à l’acquitter. Il ne nous est pas donné de comprendre ce qu’il peut espérer pour les élections d’une mesure qui a mis en fureur les villes maritimes sans donner satisfaction aux producteurs du sucre indigène. Mécontenter tout le monde, est-ce donc un moyen d’obtenir les voix de tout le monde ?

La loi sur le rachat des actions de jouissance des canaux offre aux esprits réfléchis un vaste sujet de méditations et d’études ; la question économique et la question de légalité ne sont pas les seules qui se présentent dans une affaire qui se rattache aux bases même de notre organisation politique.

La question économique est sans doute d’une haute importance. En cherchant à l’approfondir, on trouve qu’en définitive il s’agit de savoir s’il est plus utile au pays que certains services, nécessaires à l’industrie nationale, soient payés en tout ou en partie par la bourse commune, par la masse des contribuables, plutôt que d’en exiger le paiement direct et intégral de ceux qui réclament ces services. Nous ne voulons pas nous arrêter aujourd’hui sur cette question. Nous dirons seulement qu’il ne nous est pas suffisamment démontré que l’abaissement si désirable des tarifs ne pouvait pas être obtenu par des négociations avec les compagnies intéressées. Ce moyen aurait prévenu toutes les questions de légalité que suscite le projet présenté, et le trésor ne se trouverait pas exposé à une dépense qui, quoi qu’on en dise, ne laissera pas que d’être considérable. Pourquoi, en effet, le projet de loi, s’il trouve de la froideur ou de la répugnance dans une ou deux compagnies, est-il accueilli avec une faveur si marquée, avec un si vif empressement par les autres ? C’est que les uns craignent de ne pas obtenir une indemnité suffisante, tandis que les autres ont l’espérance de réaliser par la loi un bénéfice inattendu, espérance fort naturelle du reste, et dont on ne saurait leur