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DU GÉNIE DES RELIGIONS.

tion de Dieu et n’est plus animé de sa vie infinie ; le ciel et la terre ne sont que des caractères tracés par l’esprit suprême pour exprimer ses éternelles pensées. On n’adore plus la nature, on l’observe, on l’étudie et on la lit. Fo-hi, l’instituteur de la Chine, né d’une vierge qui l’a conçu en suivant solitairement les vestiges de Dieu, descend dans les plaines basses et rencontre une tortue monstrueuse, dont l’écaille couleur de ciel porte des caractères empreints dès le commencement. Les traces divines dans leurs élémens se réduisent à deux lignes, images des deux principes du monde : la première continue, image du ciel, de l’affirmation, de l’infini ; la seconde brisée, image de la terre, du temps, de la contradiction, du fini. Les combinaisons de ces deux lignes forment tous les autres caractères. Ainsi, le ciel et la terre, l’infini et le fini, exprimés par des barres, c’est l’a, b, c, du premier homme, qu’on se figure ordinairement occupé, dans l’invention de l’écriture, à représenter les objets les plus infimes, selon que le hasard les lui offre, tandis que, dans la réalité, c’est l’incommensurable qu’il veut peindre d’abord.

La littérature doit avoir l’empire dans une société qui semble uniquement occupée à écrire. La supériorité de l’esprit et de la science sera le seul titre aux honneurs et aux premiers rangs. Le mérite crée les distinctions, et ce peuple de scribes ne fonde son gouvernement ni sur la théocratie, ni sur la noblesse, ni sur la propriété, ni sur la souveraineté de la multitude, mais sur la seule intelligence de la lettre des livres canoniques. Plus rien qui ressemble aux castes. La science est accessible à tous : les lettrés obtiennent les charges de l’état après des examens, et la seule hiérarchie est celle de la capacité.

Les livres canoniques de la Chine diffèrent également de ceux des autres peuples de l’Asie. Ils ne sont qu’un recueil de chants populaires, de principes de gouvernement, de maximes de conduite : au lieu du mysticisme, de la morale ; guère de religion ; de la politique, et point de culte ; au plus quelques rares souvenirs de Dieu ; pas trace de mythologie.

Il y a dans tout cela d’excellentes choses, et l’admiration pour la Chine fut grande au dernier siècle, qui avait plus d’une sympathie pour un peuple de rationalistes. Mais cette vertu peut facilement devenir froide et vulgaire. Cette renonciation de l’infini, à le bien prendre, est celle des grandes choses. Ce culte de la lettre doit dégénérer en une superstition de la forme, et la vie publique et privée de ce peuple sans élan et compassé a fini par avoir toutes les mesquineries d’une constante et minutieuse étiquette.