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s’aperçut, avec un serrement de cœur inexprimable, que cette apparence d’ordre et même de recherche dissimulait l’absence volontaire des commodités les plus simples. Le lit, qui semblait au premier coup d’œil blanc et douillet, était plus misérable que celui d’une carmélite : la courte-pointe brodée masquait des planches nues, et un sac de paille tenait lieu d’oreiller. La toilette, depuis long-temps fermée, était recouverte d’un tapis à franges et servait de prie-dieu ; sous le tapis étaient cachés un sablier, une discipline et une tête de mort. D’abord la marquise parut faire un effort pour adresser à sa sœur quelque révélation, quelque recommandation suprême ; mais, arrêtée aussitôt par ses scrupules ou ses craintes, elle murmura seulement en joignant les mains avec un élan de tendresse ardente et désespérée : — Estève, oh ! pauvre enfant innocent ! Mon Dieu ! appelez-le, gardez-le, donnez-lui la force, la vocation d’être à vous ! Mon Dieu ! ayez pitié de moi, souvenez-vous que je suis responsable de son bonheur dans cette vie, de son salut dans l’autre !

Mme Godefroi, penchée sur le grabat de la marquise, écouta ces paroles avec une sorte d’espoir, car elle crut entrevoir un moyen de calmer la conscience de sa sœur, et de la soulager de cette responsabilité terrible qu’elle semblait redouter comme un remords.

— Ma chère Cécile, lui dit-elle, reprenez courage, il y a un moyen de changer le sort d’Estève, qui ne répugnera pas à votre religion. Il ne s’agit au fond que d’un cas de conscience ; eh bien ! nous enverrons l’abbé Girou à Rome, il fera les démarches nécessaires, et le pape vous relèvera de votre vœu.

— Non, non, jamais ! c’est impossible, interrompit la marquise en s’agitant comme si elle eût été sous l’obsession d’une pensée qu’elle voulait repousser ; j’ai fait à Dieu un sacrifice volontaire, il faut l’accomplir…

L’abattement qui succède toujours aux crises violentes empêcha la marquise de continuer ; ses facultés morales s’affaiblissaient, les forces lui manquaient pour souffrir. Elle tomba dans une lourde somnolence, et ne manifesta plus ses douleurs que par quelques plaintes.

Mme Godefroi veilla toute la nuit près de sa sœur. Vers le matin, comme elle traversait le salon pour rentrer dans sa chambre, elle vit l’abbé Girou qui, debout devant la fenêtre, lisait son bréviaire aux premières clartés du jour : lui aussi avait veillé, sans qu’on le sût, pour être prêt dans le cas où sa présence serait nécessaire, et, après cette nuit de fatigue et d’insomnie, il allait se retirer sans bruit.