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LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

la flamme intérieure qui entraîne et fond en débordant tout ce qui s’oppose à son passage, plutôt qu’à l’artiste habile et distingué, qu’on en doit savoir gré.

On concevra aisément comment une organisation poétique, mue par de pareilles tendances, devait en venir à rechercher le commerce des somnambules et des visionnaires, et, si nous pouvons le dire, finir par trouver dans un semblable milieu son point de bien-être et de quiétude. L’infini des poètes, ce monde que les ames rêvent au-delà des bornes de l’horizon, est tout simplement le vide, le vide qui ne s’anime et ne se peuple qu’à l’aide de formes et d’images transfuges d’ici-bas, plus propres à bercer la fantaisie en de chimériques illusions qu’à la satisfaire, à irriter la soif qu’à l’apaiser. Qu’on se figure, d’après cela, ce qui arrive au poète qui se laisse emporter dans sa course à travers l’étendue sans avoir assuré d’avance son retour ici-bas : d’une part, le sentiment du vide le travaille ; de l’autre, il s’épuise à donner au vide un contenu, à porter le fini dans l’infini. Or, cette tendance ne serait-elle pas une disposition organique chez certaines natures maladives, nerveuses, toujours en humeur de créer des fantômes dont elles ont hâte de peupler les solitudes du vide, donnant ainsi un sujet déterminé à ce vague désir de l’ame, à cet essor presque involontaire qui l’entraîne vers les régions surnaturelles

Les conséquences de ce phénomène, qui semblent devoir être les mêmes pour le poète que pour l’homme, aboutissent cependant à deux points tout opposés. Une fois que le vide s’est peuplé, grace au coup d’œil extatique du visionnaire ; une fois que, des flottantes ombres du pressentiment, un monde nouveau s’est dégagé, un monde avec ses figures vivantes, ses lois organiques, ses influences positives sur la vie humaine, — l’imagination n’y tient plus. Enthousiaste et religieuse, spiritualiste et dévote, elle voit, elle touche, et, plongée jusqu’au cou dans le miracle, semble ne pouvoir s’en rassasier. Bientôt cependant, à mesure qu’on y regarde de plus près, la contradiction éclate, la plus effrayante des contradictions entre le contenu fini et la forme infinie qui l’enserre. Comment concilier cet extérieur prétendu, cette physionomie, ces lèvres qui murmurent des oracles, ces mains qui lèvent le marteau, tirent la sonnette et lutinent toute une maison, avec l’idée d’esprits, d’esprits détachés des liens de ce monde ? Hélas ! le plus cruel reproche qu’il y aurait à faire à ces apparitions serait qu’elles nous ressemblent trop bien, et ne répondent guère à ce qu’on attendait d’être habitant au-delà