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Parmi tant de critiques d’un esprit supérieur, Lessing, Barthélemy, Winckelmann, Guillaume Schlegel, qui, depuis un demi-siècle, ont étudié dans tous les sens l’art et la poésie des anciens, on est surpris qu’aucun ne se soit préoccupé de résoudre, que dis-je ? n’ait songé seulement à se poser un si grave et si important problème. Nous le demandons ; la muse de la tragédie a-t-elle rien produit de plus achevé que le Philoctète et l’Œdipe roi de Sophocle ou que l’Orestée du vieil Eschyle, cette trilogie composée d’Agamemnon, des Choéphores, des Euménides ? La sculpture est-elle parvenue, sous les efforts d’une main moderne, à donner au marbre plus de vie et de beauté que n’en possèdent les vieux débris de la Vénus de Milo ou le groupe de la Niobé ? En un mot, dans ces deux nobles carrières, quel pas avons-nous fait depuis vingt-trois siècles ?

Si, comme le veulent la justice et la vérité, l’on répond que rien de supérieur aux chefs-d’œuvre de la Grèce n’est venu repousser l’antiquité au second plan, alors que devient cette grande loi du progrès, justifiée cependant par tant de découvertes accomplies dans les sciences, par tant d’améliorations réalisées ou préparées dans les lois, dans la civilisation, dans les mœurs ? Toutes nos facultés sont-elles donc perfectibles, à l’exception de celle qui préside au développement des beaux-arts et de la poésie ? Non certes ; l’homme est perfectible en tout, ou il ne l’est en rien. Si l’on nous permet de risquer ici une solution qui nous est propre, ne pourrait-on pas supposer que, de toutes nos facultés, l’imagination a la première achevé sa tâche, et atteint presque du premier vol la limite extrême permise à ses efforts ? Pour ma part, je crois qu’il en a été ainsi ; ce qui ne veut pas dire toutefois que l’imagination humaine soit depuis deux mille ans demeurée inerte et inactive, encore moins qu’elle doive dorénavant renoncer à la recherche et à la production du beau. Les aspects de la beauté physique et surtout de la beauté morale sont infinis. L’aigle du Pinde a eu beau toucher de ses sublimes ailes la limite d’un double idéal : artistes et poètes, ne vous plaignez pas pour cela d’être venus trop tard et d’être déshérités ! La perfection, à quelque hauteur infinie qu’elle atteigne, n’occupe qu’un point, presque sans étendue, dans l’immense horizon de l’art ; c’est une étoile dans le firmament, une étoile qui souffre autour d’elle des myriades de sœurs et de compagnes.

Au reste, l’admiration que nous exprimons ici, après tant d’autres, pour les reliques de la statuaire et de la poésie grecques, et qui, nous en sommes persuadé, ne sera pas contredite, cette admiration