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tion contre la cession d’Hong-Kong aux Anglais : — Moi, l’empereur, dit-il, je suis le souverain légitime de tout l’empire, et il n’y a pas un seul pied de terrain, un seul habitant de la terre centrale qui ne soit ma propriété absolue. Keschen a pris sur lui de céder Hong-Kong. Que cette mesure retombe sur sa tête ! »

Keschen avait représenté à l’empereur, dans un mémoire daté du mois de février, toute la faiblesse comparative des moyens de défense de l’empire. Il avait déclaré l’imperfection de l’artillerie chinoise, la mauvaise disposition des forts et l’irrésistible supériorité des Anglais. C’était ainsi qu’il justifiait les mesures qu’il avait été obligé de prendre, les concessions qu’il s’était vu forcé de faire. L’empereur répond à ce mémoire par un beau mouvement oratoire. « Il n’y a rien au monde, dit-il, qui puisse me faire supporter avec calme les insultes et les folies de ces étrangers rebelles, ainsi que vous l’avez fait. Aveuglé et sans volonté, comme vous l’êtes, osez-vous encore mépriser mes commandemens et continuer à recevoir les écrits des étrangers et même demander pour eux des faveurs ? Une pareille audace passe les bornes de la raison. Sans force et sans courage, quelle espèce de cœur bat donc dans votre poitrine ? Non-seulement vous vous courbez avec soumission sous leurs insultes et leurs menaces, mais encore vous osez essayer de nous effrayer par de vaines considérations ! Apprenez que nous sommes inaccessibles à de lâches craintes. »

Le dernier acte de Keschen fut une proclamation du 28 février, dans laquelle, stimulé probablement par les reproches sévères qu’il vient de recevoir de sa cour, il fulmine contre l’audace des Anglais. « Nous, dit-il, le gouverneur et le lieutenant-gouverneur, nous marcherons en personne à la tête des troupes de l’empire céleste, et, les premiers au milieu du carnage, nous balaierons les barbares de la surface de la terre. Le généralissime Yischan arrive avec ses collègues, et les Anglais disparaîtront sous leurs efforts réunis. » Keschen prenait aisément son parti de sa disgrace, et vous pouvez remarquer la grande facilité avec laquelle il sait changer de ton, suivant les circonstances. Que le sort de ce souple courtisan ne vous inquiète pas, monsieur ; Keschen ne reparaîtra pas de long-temps sur la scène ; mais nous savons qu’il est aujourd’hui en plus grande faveur que jamais à la cour impériale. Vous voyez qu’il ne faut pas prendre à la lettre tout ce qui sort de la bouche du dragon céleste. L’empereur pouvait menacer Keschen, mais il ne saurait se passer des services d’un des hommes les plus éminens que la Chine ait produits.

Vous voyez aussi que l’armistice se concluait sous des auspices peu favorables. Mais quels ressorts avaient amené ce résultat ? Pourquoi les Anglais s’étaient-ils arrêtés au milieu de cette série de faciles triomphes ? Comment M. Elliot, arrivé avec des forces imposantes jusque sous les murs de Canton et n’ayant qu’à étendre la main pour s’en emparer, changeait-il tout à coup de toit et demandait-il la paix ? L’Angleterre avait-elle donc reçu l’éclatante satisfaction qu’elle avait le droit de demander ? Les citoyens violemment dépouillés avaient-ils été indemnisés de leurs nombreuses pertes ? Avait-on ob-