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DU MOUVEMENT PHILOSOPHIQUE.

mier volume ne renferme que de la psychologie ; c’est une description des sentimens, des passions, des besoins de l’homme, qui n’a point d’originalité. Quelques remarques physiologiques sur l’influence des sexes et des tempéramens n’élèvent pas ce travail à la hauteur de l’ouvrage de Cabanis, De l’influence du physique sur le moral de l’homme. En général, M. Bautain procède par voie d’énumération, et ses remarques seraient mieux à leur place dans un dictionnaire de synonymes que dans un cours de morale. Il s’amuse, par exemple, à distinguer la bravoure, la valeur, la fermeté, l’intrépidité, l’audace et la témérité ; ailleurs, il fait des catégories distinctes pour la lâcheté, la poltronnerie et la pusillanimité. Au milieu de ces distinctions puériles, on ne trouve pas une seule trace d’observation véritable. C’est une étude de la nature humaine faite d’après un dictionnaire. Il faut le louer au moins de n’avoir pas distingué aussi l’habitativité, la constructivité, la destructivité. Il n’avait que bien peu à descendre pour se trouver de niveau avec les distinctions phrénologiques. La seconde partie est plus sérieuse ; l’auteur y traite la question de la liberté et de la loi morale. Pour la liberté, il se rapproche du sentiment de Malebranche, attribue le bien et même le mal à des inspirations qui nous sont données, et nous laisse pour toute prérogative ce qu’il appelle le droit d’acquiescer ou de repousser. Son opinion sur la loi morale est remarquable dans un si rude adversaire du rationalisme. Il a beau dire, dans sa préface, qu’il refuse à la raison la science des principes, et ne lui accorde que la faculté d’en tirer les conséquences et de les appliquer : l’ascendant de la vérité le porte à déclarer plus tard que « les idées d’être et d’existence, les notions de cause et d’effet, de temps et distance, etc., et toutes les définitions mathématiques, sont à priori pour la raison. » — « Elle ne peut, dit-il, refuser les axiomes sans se renoncer elle-même. » Nous n’en demandons pas davantage, et, à ce compte, M. Bautain a fait depuis deux ans bien du chemin en arrière. Il est vrai qu’il déclare ensuite qu’outre le principe moral que la raison nous impose au dedans de nous-mêmes, l’église nous enseigne extérieurement une règle de morale contenue dans les écritures, et « que la voix du dedans se trouve contrôlée et confirmée par la voix du dehors. » Mais cela n’a rien de contraire aux doctrines rationalistes. On peut fort bien admettre la raison et la révélation ; nous soutenons seulement, avec Malebranche, qu’on ne peut pas nier la raison sans nier du même coup la révélation.