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M. Bautain appelle la loi naturelle l’expression de la volonté souveraine, c’est-à-dire qu’il attribue le bien à la volonté, et non à la nature de Dieu. On sait que les cordeliers professaient cette opinion par vénération pour la mémoire de Duns Scott, tandis que les dominicains, attachés à la doctrine de saint Thomas, tenaient pour le sentiment contraire. Puisque M. Bautain n’est pas cordelier, rien ne pouvait l’obliger à soutenir que la volonté de Dieu fait le bien et le mal, et que cela même qui est aujourd’hui le bien serait le mal, si Dieu l’avait voulu. Ce n’est pas tout que d’accorder enfin la raison à l’homme ; il fallait aller plus loin, et convenir sans plus de disputes que Dieu lui-même est soumis à la raison, que la raison est l’essence même de Dieu, et non pas le produit de sa volonté.

Il faut bien l’avouer, ni le livre de M. Bautain, ni même celui de M. Saint-Bonnet, ne feront avancer la philosophie. C’est une grande gloire, et réservée à bien peu d’intelligences, que de répandre sur un point important de la science des lumières nouvelles, et d’attacher son nom à un véritable progrès. On ne doit point se décourager parce qu’il ne sort pas de terre, à chaque génération nouvelle, un philosophe de premier ordre. Les efforts, même malheureux, ne sont pas entièrement perdus. Si M. Saint-Bonnet, par exemple, n’a rien fait, il a évidemment prouvé qu’il pouvait faire. Deux longs traités de philosophie spéculative, un mémoire développé sur Descartes, un essai, quoique malheureux, d’histoire de la scholastique, la traduction de plusieurs grands ouvrages de Kant et de Hegel, plus de vingt dissertations d’un mérite très distingué, montrent assez d’ailleurs que la philosophie n’est pas oubliée en province, qu’elle y est cultivée avec autant de zèle et de succès qu’à Paris, et que l’activité philosophique, si heureusement réveillée depuis ces derniers temps, répond partout à l’impulsion généreuse qu’elle a reçue.

Un assez grand nombre de ces livres sont l’ouvrage des professeurs de l’Université. Mais les professeurs ont, entre tous les philosophes, une position particulière. Il ne leur suffit pas de produire eux-mêmes, leur devoir est de susciter des écrivains et des penseurs, et ils n’auront véritablement accompli ce que le pays a le droit d’attendre de leur talent et de leur zèle, que quand ils auront ranimé autour d’eux le goût des études sérieuses. Leur enseignement ne doit pas être seulement une sorte de prédication morale ; si leur première obligation est de propager le spiritualisme et la morale du devoir, ils doivent songer aussi aux intérêts de la philosophie.